Avec Donald Trump, les projets sécuritaires et militaires des Etats-Unis pour l’Amérique latine se poursuivent
- Opinión
Immigration, commerce. L’Amérique latine – au premier chef centrale – constituera le laboratoire privilégié de Donald Trump pour expérimenter ses nouvelles orientations controversées dans le monde entier.
Il existe un troisième dossier sur lequel le 45e président américain incarnera, cette fois-ci, une grande continuité avec la politique de son prédécesseur Barack Obama. Il concerne l’emprise sécuritaire et militaire des Etats-Unis dans la Caraïbe et l’Amérique centrale.
Sur ce plan, aucune rupture n’aura lieu. Au contraire. Le 1er février 2017, le Honduras a reçu la première tranche (125 millions de dollars) des aides prévues par les Etats-Unis dans le cadre de leur programme régional nommé « Alliance pour la prospérité » (Alianza para la Prosperidad). El Salvador, près de 100 millions (6 février) dont une large partie transitera par les canaux de l’incontournable Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid). Conçu par l’administration Obama, ce projet bénéficie d’une enveloppe de 750 millions de dollars, votée par le Congrès en décembre 2015. Prévu pour une durée initiale de cinq ans, il vise à lutter contre l’implosion des pays centraméricains – ceux du Triangle Nord (El Salvador, Guatemala, Honduras) – rongés par la pauvreté, la corruption, le trafic de drogue, le crime organisé et les crises politiques et institutionnelles.
Ces maux produisent des saignées migratoires (entre 80 et 100 000 Honduriens quittent le pays chaque année pour les Etats-Unis) qui irriguent les flux de clandestins vers la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. En 2016, sur les 410 000 personnes interceptées illégalement à la frontière mexicaine par le U.S. Customs and Border Protection [1], une majorité n’était pas mexicaine (l’immigration mexicaine vers les Etats-Unis baisse continuellement depuis le début des années 2000), mais centre-américaine. Dans ce contexte, 60 000 enfants mineurs non accompagnés ont été comptabilisés par les autorités américaines (septembre 2016 [2]).
L’Alliance pour la prospérité (60 % des fonds sont destinés aux actions sécuritaires dans les pays bénéficiaires, notamment celles visant à empêcher les départs de migrants), l’Initiative Merida (accord de coopération signé en 2008 entre les Etats-Unis et le Mexique) et l’Initiative régionale de sécurité pour l’Amérique centrale (CARSI) [3], qui vise à coordonner les politiques entre les Etats-Unis, les pays d’Amérique centrale et le Système d’intégration centre-américain (SICA) [4]> pour lutter contre les menaces sécuritaires (trafics, criminalité, contrebande, etc.), répondent aux mêmes objectifs et disposent de moyens et d’instruments complémentaires.
La lutte contre les trafics – notamment de drogue –, les migrations, la criminalité organisée et la corruption, le renforcement des institutions, la protection et la promotion des investissements étrangers – comprendre américains – dans les économies locales, l’ajustement des marchés du travail aux besoins de ces investissements, la sécurisation des routes logistiques et énergétiques entre les pays de la région et les Etats-Unis constituent l’ossature de ces politiques et dispositifs.
Ces programmes prévoient instruction et conseil militaires, entraînement des troupes militaires et de police mexicaines et centraméricaines, aides en matériel, soutien à des projets de développement, etc. Ils incluent également la présence de soldats et de membres des services de renseignement américains dans ces pays. Depuis 2008, l’Initiative Merida a reçu 2,5 milliards de dollars, le CARSI, près de 642 millions de dollars [5].
En 2015, Barack Obama a lancé l’idée d’un nouveau projet, le Caribbean Energy Security Initiative (CESI). Son objectif serait de sécuriser le marché énergétique (notamment électrique) dans la région (Amérique centrale et Caraïbe) et faciliter l’intégration régionale énergétique avec les Etats-Unis. Il conviendra d’observer s’il sera confirmé par la nouvelle administration.
Pour Washington, ces initiatives constituent un investissement prioritaire. Il s’agit d’augmenter les capacités d’échanges commerciaux à l’intérieur du continent, comme entre ses façades pacifique et atlantique. Le Mexique, les pays d’Amérique centrale et ceux de la Caraïbe font également partie du plan stratégique de la première puissance mondiale. Cette dernière souhaite renforcer son implantation dans l’espace constitué par ces pays, notamment par le biais de ses programmes de lutte contre le crime et les trafics. Dans la Caraïbe (République dominicaine et pays de la Communauté caribéenne - Caricom [6]), le gouvernement américain promeut ainsi, depuis 2010, le Caribbean Basin Security Initiative (CBSI). Cette initiative – 437 millions de dollars investis depuis 2010 – chapeaute toutes les politiques d’échanges d’informations et de données, de contrôles aériens et maritimes, d’interventions et d’interceptions coordonnées avec les forces des pays de la région, de formation militaire et policière, etc. menées au titre de la « guerre aux drogues » et aux autres formes de criminalité transnationales. Ce type d’accord permet aux forces militaires américaines, notamment celles du US Southern Command [7] et de la IVe flotte de l’US Navy, de conserver une présence significative dans la région.
Et de pouvoir évoluer près de Cuba et du Venezuela, pays que connaît bien le nouveau secrétaire d’Etat à la sécurité intérieure nommé par Donald Trump. Le général John F. Kelly n’est autre que l’ancien commandant du Southcom [8]…
Notes
[1] Près de 57 000 Cubains (+ 31% par rapport à 2015) sont également entrés - légalement - aux Etats-Unis en 2016 selon le U.S. Customs and Border Protection. Barack Obama a décidé de mettre fin, le 12 janvier 2017, au régime « pieds secs, pieds mouillés » [« wet foot dry foot »] accordant depuis 1966 la résidence aux cubains arrivés sur le territoire américain. Il s’agissait d’une demande de La Havane qui a toujours considéré ce dispositif comme une politique d’incitation à l’exil pratiquée par Washington. Les autorités cubaines s’engagent à accueillir leurs ressortissants qui seraient désormais expulsés en tant que clandestins.
[2] The Nation, 21 décembre 2016 : https://www.thenation.com/article/the-alliance-for-prosperity-will-intensify-the-central-american-refugee-crisis/
[3] Les pays concernés par le programme sont Belize, le Costa Rica, El Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et Panama.
[4] Membres : Belize, le Costa Rica, El Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Panama, la République dominicaine.
[5] Département d’Etat : https://www.state.gov
[6] Organisation d’intégration régionale regroupant quinze pays de la Caraïbe.
[7] Ce commandement militaire (forces aériennes, navales, terrestres, intelligence, logistique) est composé de 1200 hommes, militaires et civils, chargés de veiller sur la sécurité des intérêts américains en Amérique latine. Il est également en charge de la sécurité du canal de Panama et s’appuie sur le soutien naval de la IVe flotte, réactivée en 2008.
[8] Entre 2012 et 2016.
- Christophe Ventura, Mémoire des luttes
10 février 2017
http://www.medelu.org/Avec-Donald-Trump-les-projets
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