Quand ALAI faisait ses premiers pas…

04/05/2017
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Je remercie les camarades d’ALAI pour avoir pris l’initiative de célébrer le 40 e anniversaire de la création de l’Agence latino américaine d’Information. Merci aussi de m’obliger ainsi à mettre de l’ordre dans mes souvenirs d’il y a quatre décennies et d’analyser comment Montréal -une ville alors relativement  petite et qui n’est même pas capitale de la province de Québec- était devenue, à partir des années 70, un important lieu de convergence des mouvements contre la guerre du Vietnam, contre la dictature de Duvalier en Haïti, contre le coup d’État au Chili, contre la dictature des nombreuses judicatures partout en Amérique du Sud. Ensuite Montréal est devenue le siège de réseaux de solidarité avec les luttes des peuples du Nicaragua, Guatemala, Salvador et Honduras.

 

Belle coïncidence, au moment où j’écris ce texte un article de Manuel Yepes m’arrive: LA GUERRE DU VIETNAM ET LES ÉTATS-UNIS, dans lequel il parle justement de la grande mobilisation aux E.U. pour mettre fin à cette guerre impérialiste et mentionne Jane Fonda. Ça me fait sourire parce que je venais justement de me remémorer un événement, dans l’auditorium de l’Université de Québec à Montréal, auquel plusieurs jeunes déserteurs états-uniens participaient. Je me vois comme journaliste en train de donner la main à Jane Fonda et la photographier avec mon «frère» vietnamien Quy Vinh Duong, un de ces infatigables militants pour la paix qui ont contribué à ce que le Vietnam gagne en Amérique du Nord la principale lutte politique de cette infâme guerre impérialiste.

 

Quelle « chimie! » sociopolitique peut bien expliquer que Montréal soit devenue si importante pour la solidarité internationale à ce moment-là?  Qu’avait-il donc là qui intéressait autant les agences de presse pour l’Amérique latine? C’est la question que je me pose pour comprendre la création de ALAI en 1977 et le bureau de Inter Press Service (IPS) en 1979.  Par ailleurs, je connais bien la création de Prensa Latina Canada en 1975, avec le cofondateur et ami Bob Rutka. En 1977, le bureau que j’occupais avec Bob pour Prensa Latina Canada était situé dans l’édifice 1010 avenue Sainte Catherine ouest, et celui de ALAI au 1224 de la même avenue, si je me souviens bien.

 

Je ne parviens pas à me rappeler quand et comment j’ai pris connaissance de l’existence de ALAI, sinon qu’en 1977 j’ai rencontré le journaliste uruguayen Gustavo Dans, (un des co-fondateurs), et en visitant le bureau d’ALAI, j’ai vu le très jeune chercheur équatorien Osvaldo León et la jeune journaliste Sally Burch. Ils étaient ensevelis par des piles de fichiers, journaux et bulletins (news-letters , comme on les appelait alors), et des papiers, la matière première des journalistes d’alors.

 

Je me souviens d’avoir souvent partagé des informations et que le 13 février 1980, grâce aux contacts du journaliste salvadorien Victor Regalado au Salvador, nous avons fait ensemble deux entrevues téléphoniques à Mgr Oscar Arnulfo Romero (http:www.alainet.org/es/active/63770). La première est dans ALAI et de la seconde du 23 mars, quelques heures avant son assassinat, il n’en reste malheureusement que des références mais aucune copie.

 

Montréal « Ville ouverte »

 

Je ne raconterai pas l’histoire du Québec, de la «révolution» tranquille qui mit fin à la «grande noirceur» : le contrôle social presque théocratique de l’Église catholique et des conservateurs. Cette révolution a aussi contesté le pouvoir économique de la minorité anglophone. Je ne parlerai pas non plus de l’Expo ‘67 qui a grandement influencé la société montréalaise, ni du sentiment de « libération » que j’ai senti à mon arrivée à Montréal en 1970. Mais, le fait important c’est qu’en 1977 le premier ministre du Québec était René Lévesque, un ex correspondant de guerre et excellent journaliste. Il avait ouvert l’esprit de beaucoup des québécois avec ses analyses des problèmes internationaux et domestiques dans son programme de TV «Point de mire»; il écrivait aussi dans le journal Le Jour (1974-août 1976), le seul journal d’Amérique du Nord qui recevait le service Prensa Latina. Tout ça peut expliquer d’où venait cette «chimie» sociopolitique qui existait à Montréal.

 

Certes, Montréal était déjà une ville cosmopolite, avec d’excellents journalistes informés sur la réalité latino-américaine et caribéenne. Ils nous demandaient parfois des fils de presse de Prensa Latina et, sans doute, ils ont profité de la naissance d’ALAI, comme les grands amis Clément Trudel et Jean-Claude Leclerc du Devoir, et le courageux Pierre St-Germain de La Presse.

 

Montréal, ville où ont cohabité anglophones et francophones, était un endroit de grandes discussions sur la « question nationale », sur la lutte pour l’indépendance du Québec et le fédéralisme canadien. La crise d’Octobre 1970, fomentée par les actions violentes du Front de Libération du Québec l’a bien démontré ainsi que la réaction excessive du gouvernement d’Ottawa qui a mené à l’occupation militaire de la ville.

 

Dans les années 70, nous étions au sommet historique de la lutte des classes en Amérique du Nord. À Montréal il y avait trois centrales syndicales du Québec (FTQ, CEQ, CSN) avec une grande force de mobilisation. Il y avait aussi des dirigeants audacieux. Parmi eux, Michel Chartrand a joué un rôle important pour la création et l’appui des mouvements de solidarité avec les peuples de NuestrAmérica (Notre Amérique).

 

Je me souviens bien que c’est lors du coup d’État du Chili, le 11 septembre 1973, que Michel Chartrand nous a rassemblés dans les bureaux du Conseil Central de Montréal de la CSN, pour organiser la solidarité avec le peuple chilien.  Il y avait des sud-américains, haïtiens, et québécois de différents groupes, quelques religieux -curés et religieuses- qui avaient réussi à sortir du Chili et éviter une mort certaine. C’est là que cet irréductible marxiste a entamé une longue et magnifique relation d’amitié et de travail solidaire avec ces chrétiens-curés et religieuses- québécois qui avaient été à l’avant-garde de la Théologie de la Libération au Chili et qui revenaient au Québec.

 

En fait, le coup d’État contre le Président Salvador Allende et plus tard les luttes révolutionnaires en Amérique centrale, ont fait émerger des « groupes » de curés et religieuses (et quelques évêques) qui, par leur lien constant avec l’Amérique latine, avaient adopté la Théologie de la Libération au sein de l’Église Catholique. Il en fut ainsi dans quelques organisations comme Développement et Paix. C’est ainsi qu’en septembre 1973, il fut possible de construire, en quelques jours, le mouvement de solidarité avec le peuple chilien; secourir plusieurs camarades de groupes de gauche pour les sortir du Chili; et lancer une grande dénonciation de la dictature d’Augusto Pinochet. C’est alors qu’ont été renforcées ou créées  plusieurs organisations de solidarité et d’appui aux luttes de libération des peuples de NuestrAmérica.

 

C’est pour ça qu’ALAI est né (et peut continuer) quand différentes forces de gauche, imitant l’exemple cubain, commencent une démarche pour mettre de côté et combattre les préjugés ou fausses orthodoxies qui séparaient les révolutionnaires. Ils faisaient comme dans de nombreux pays où marxistes et chrétiens luttaient côte à côte parce qu’ils avaient le même idéal : défendre les intérêts du peuple travailleur face aux dictatures et à l’impérialisme.

 

Le déménagement d’ALAI à l’Équateur fut opportun parce que c’est en NuestrAmérica où on a obtenu avec succès cette cohésion des différentes forces sociales de nos peuples avec les peuples autochtones mis de côté économiquement et socialement. Ainsi sont nés des projets politiques et sociaux, parfois limités mais importants, dans la stratégie de lutte pour réduire la pauvreté, consolider les sociétés grâce à des actions communes et des programmes sociaux, et établir des objectifs d’émancipation locaux et nationaux.

 

Il me semble qu’ALAI a réussi à devenir un « forum » pour des journalistes intellectuels, organisations sociales où l’important ce sont des faits, des idées, des analyses, des opinions et propositions pour défendre les intérêts légitimes de nos peuples face à l’impérialisme et ses valets locaux. Et aussi les défendre face à différentes formes de capitalisme  dont les racines se retrouvent dans la plus grande partie du « secteur privé » de l’économie et qui dominent des vastes secteurs de l’appareil et des institutions d’État. Un forum où on essaye de trouver la façon d’avancer socialement et politiquement vers des objectifs communs tout en respectant les différences culturelles, ethniques ou de genre. Enfin, bon anniversaire et merci de m’avoir fait penser en me remémorant les camarades avec qui nous avons parcouru le chemin, et continuez à faire la route.

 

- Alberto Rabilotta, journaliste argentino-canadien.

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/185261?language=en
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