Accord de Paris : le chassé-croisé États-Unis - Nicaragua

18/01/2018
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Alors qu’ils l’avaient signé et ratifié en 2016, les États-Unis ont annoncé en 2017 qu’ils sortaient de l’accord de Paris. A l’inverse, alors qu’il avait refusé de le signer jusque-là, le Nicaragua, lui, a fini par rejoindre l’ensemble des signataires quatre mois après la sortie des États-Unis. La petite république centro-américaine, longtemps sous domination états-unienne, isolait ainsi de facto la puissance impériale, en marge de la grande coalition climatique [1]. Hasard ou nécessité ? Retour sur les ressorts d’un étonnant chassé-croisé.

 

Aux États-Unis, c’est un changement de pouvoir qui explique le revirement. Au Nicaragua, un changement de stratégie. Sur cette question – comme sur bien d’autres –, Donald Trump vogue aux antipodes de son prédécesseur Barack Obama. Quant à Daniel Ortega, qui s’est succédé à lui-même à la tête du Nicaragua une semaine avant la passation de pouvoir à Washington, il a changé son fusil d’épaule par conviction… disons… évolutive. Reste, et c’est là l’essentiel du chassé-croisé, que ce sont bien des raisons diamétralement opposées qui ont amené le nouveau président états-unien à rejeter ce que le président nicaraguayen avait refusé avant lui, pour se dédire par la suite.

 

Sur la décision de Trump, tout a été dit, après qu’il en ait tout dit lui-même le 1er juin 2017, sans faux-fuyants, manichéen : «  Afin de remplir mon devoir solennel de protection de l’Amérique et de ses citoyens, les Etats-Unis se retireront de l’accord de Paris sur le climat. (…) Je ne peux pas, en conscience, soutenir un accord qui punit les Etats-Unis (…). J’ai été élu pour représenter les habitants de Pittsburgh, pas de Paris » [2]. Parce qu’il n’accepte « rien qui puisse se mettre en travers » de son action visant à tenir ses promesses de campagne, à défendre les emplois de ses compatriotes et à relancer l’économie de la première puissance mondiale, le président climatosceptique se devait de renoncer aux engagements – « néfastes pour l’Amérique » – pris par le mandataire précédent.

 

Sur la décision d’Ortega en revanche, tout n’a pas été dit. Il aura même fallu attendre le retrait tonitruant des États-Unis de l’Accord de Paris, pour que le monde réalise que le petit Nicaragua s’était lui aussi mis hors-jeu, bien avant Trump. Pourquoi donc ? Climatosceptique itou, le président nicaraguayen ? Pas du tout. C’est, à l’inverse, parce que le texte à signer lui semblait manquer d’ambition consistante et de force contraignante qu’il n’a pas voulu le cautionner. Pas à la hauteur des enjeux, l’Accord de Paris ! Pas à la hauteur de la gravité des changements climatiques et de l’urgence d’un élan mondial salvateur. Un élan mondial dont les responsables historiques des émissions de gaz à effet de serre – les puissances industrielles du Nord – doivent être les premiers moteurs et les premiers financeurs. Or, aux yeux du gouvernement Ortega, c’est loin d’être le cas.

 

Pas complices !

 

Au sortir du Sommet de Paris en décembre 2015, l’analyse du ministre Paul Oquist, le chef de la délégation nicaraguayenne, est sans équivoque. «  Nous ne voulons pas être complices ! » Complices d’un processus qui, d’une part, mène à «  une hausse de la température de 3 à 4° à la fin de ce siècle », à coups d’« engagements volontaires » disparates et « non contraignants », et qui, d’autre part, substitue au concept de « responsabilité historique » ou de «  responsabilité différenciée », celui de « responsabilité universelle ». « Nous sentons-nous responsables, nous, des changements climatiques ? Non, pas du tout. » Le Nicaragua pèse 0,1% de la population mondiale et «  seulement 0,03% des émissions de gaz à effet de serre ». (…) « Qui doit résoudre le problème ?! Les 100 pays qui émettent 3% du total des gaz ou les 20 grandes puissances qui en émettent 78% ? Voire juste les 10 premières, responsables de 72% de l’ensemble ? (…) Il revient en priorité aux États-Unis, à l’Europe et à la Chine – la moitié des émissions mondiales à eux trois – d’élever leurs ambitions. » [3]

 

L’argumentation et ses accents tiers-mondistes – partagés notamment par la Bolivie d’Evo Morales (qui a néanmoins signé l’Accord de Paris) – ne manque ni de pertinence ni de légitimité. A fortiori lorsque l’on sait à quel point le Nicaragua paie déjà les effets de changements climatiques dont il est si peu responsable, à la différence flagrante des États-Unis, premier pollueur au monde depuis la révolution industrielle. C’est au quotidien que « le petit pays tropical de lacs et de volcans » en mesure l’impact : insécurité alimentaire dans les régions frappées par la sécheresse liée à l’accentuation du phénomène El Niño, assèchement de zones humides, pertes de rendement agricole et déplacements de cultures, hausse du niveau des mers des deux côtés de l’isthme, intensité accrue des ouragans, tempêtes et inondations… [4]

 

Justicier climatique ?

 

La dernière parution de l’« Indice mondial des risques climatiques » [5] considère d’ailleurs le Nicaragua comme le 4e pays le plus touché au monde (pertes humaines et matérielles directes, en valeurs relatives) par des événements météorologiques extrêmes, ces vingt dernières années, derrière le Honduras, Haïti et la Birmanie, devant les Philippines et le Bangladesh. Le « Climate Change Risk Profile » consacré au Nicaragua par l’USAID [6] fait, lui aussi, froid dans le dos, pour son relevé des effets probables des changements climatiques en cours sur la santé humaine, la productivité économique, les écosystèmes, etc. La haute vulnérabilité du pays est donc réelle et sa responsabilité dans le gâchis, très faible.

 

Pour autant, les choix politiques et économiques opérés sur place par l’administration Ortega – en fonction depuis plus de dix ans – sont-ils à la hauteur de ce rôle de pourfendeur environnementaliste que son ministre, Paul Oquist, a incarné lors du Sommet de Paris ? Oui et non. Ou plutôt, pas vraiment. Certes, 50% de l’électricité nicaraguayenne provient aujourd’hui de sources renouvelables – géothermie, éolien, solaire, hydraulique… –, particulièrement profitables dans la région et dont l’exploitation a été encouragée par des fonds internationaux, mais pour le reste, le modèle de développement induit par les politiques du gouvernement nicaraguayen correspond de près à ce qui se fait dans la plupart des pays du continent : productivisme et extractivisme, priorité à l’alimentation du marché mondial en matières premières, dans un cadre néolibéral, libre-échangiste, à peine régulé. [7]

 

Résultats : pression accrue sur les terres pour la production de viande, l’extraction d’or, les plantations de palmiers à huile…, pollution des réserves en eau, déprédation de la biodiversité et déforestation galopante. D’après la FAO, le Nicaragua aurait ainsi perdu 40% de son couvert forestier depuis le début du 21e siècle. «  Le refus de l’administration Ortega de signer l’Accord de Paris peut être considéré comme peu légitime », commentait en 2016 le militant écologiste Victor Campos, directeur du Centro Humboldt à Managua. « Cela revient à revendiquer sur la scène internationale une justice environnementale que l’on ne respecte pas chez soi. Les politiques gouvernementales nicaraguayennes sont totalement déplorables, en contradiction avec les bonnes pratiques en la matière et irrespectueuses de l’environnement. » [8]

 

Écolopportunisme ?

 

Un jugement sévère que ne sera pas venue nuancer la décision du président Ortega, en août 2017, de vider de son contenu le décret qui obligeait les investisseurs à réaliser des études d’impact environnemental, préalablement au lancement de leurs projets de développement. Alors, « écolopportuniste » le gouvernement nicaraguayen ? C’est ce que donne à penser en tout cas la juxtaposition de l’argumentation de Paul Oquist à Paris fin 2015, des politiques réellement menées dans le pays à ce jour, et du soudain revirement du Nicaragua qui, en octobre 2017, a remis officiellement au siège de l’ONU à New York son adhésion à l’Accord de Paris sur le changement climatique !

 

Justification publique : « Bien que cet accord ne soit pas l’accord idéal, il est le seul instrument qui autorise à ce jour une unité des intentions et des efforts. » [9] Laconique. L’on ne sait si ce ralliement tardif de Daniel Ortega à la grande coalition mondiale que venait de quitter Donald Trump est un pied de nez – inoffensif – à ce dernier. Ou le résultat des pressions des organisations écologistes intimant le gouvernement nicaraguayen de définir un plan d’action sérieux en matière d’adaptation, d’atténuation et de réparation des effets des changements climatiques. Pour d’aucuns, la volte-face subite du président est plutôt à mettre en lien avec une récente visite des autorités de la Banque mondiale à Managua et le conditionnement des futurs « fonds verts » à destination du Nicaragua à son adhésion à l’Accord de Paris ! [10]

 

« Es que al final lo vimos con otros ojos » (« C’est qu’à la fin, nous l’avons vu avec d’autres yeux  »[l’Accord de Paris]) fait dire le caricaturiste PxMolina à son chef d’État, dans un dessin paru dans la presse nicaraguayenne le lendemain du revirement. Pour sûr, une prompte reconsidération des tenants et aboutissants, sonnants et trébuchants, d’un texte dont son ministre Oquist ne voulait pas être « complice » a dû jouer dans la décision inopinée du président Ortega et de son épouse, la vice-présidente Murillo.

 

Notes

[1] Coalition qui réunit près de 200 États, y compris la Syrie en guerre, dernier pays à la rallier en 2017.

[2] Propos de Donald Trump, publiés par Le Monde du 2 juin 2017.

[3] Amy Goodman et Paul Oquist, « We do not want to be an accomplice : Nicaragua rejects global consensus on voluntary emission cuts », Democracy Now, décembre 2015, www.democracynow.org.

[4] Martina Guglielmone, « Paul Oquist and Why Nicaragua rejected the 2015 Paris Agreement », Council on Hemispheric Affairs - COHA, juin 2017, www.coha.org.

[5] Global Climate Risk Index 2018, www.germanwatch.org.

[6] Global Knowledge Portal for Climate Change & Development Practitioners, USAID, janvier 2017, https://www.climatelinks.org/resources/climate-change-risk-profile-nicaragua.

[7] Bernard Duterme, Toujours sandiniste, le Nicaragua ?, Bruxelles, Couleur Livres, 2017 : http://www.cetri.be/Toujours-sandiniste-le-Nicaragua-4475.

[8Revista Envío, Managua, UCA : http://www.envio.org.ni/.

[9] Communiqué du 23 octobre 2017 cosigné par le président Daniel Ortega et la vice-présidente Rosario Murillo.

[10] Maynor Salazar, « Ortega adhiere a Nicaragua al Acuerdo de París », Confidencial, 24 octobre 2017.

 

17 janvier 2018

https://www.cetri.be/Accord-de-Paris-le-chasse-croise?lang=fr

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/190443
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