Le Venezuela a choisi : que les moyens (et les médias) ne justifient pas la fin
- Análisis
Un peu plus de 8 600 000 Vénézuéliens ont participé à l’élection présidentielle de ce dimanche 20 mai, dont le résultat est le renouvellement du mandat de l’actuel président Nicolás Maduro. Furent également élus, les nouveaux conseillers des États bien que tous les regards étaient tournés vers la plus haute charge exécutive de l’État.
L’actuel gouvernant a obtenu 68 % des votes valides émis, devant les 21 % de son principal adversaire, Henri Falcón. Javier Bertucci a reçu 11 % des préférences et le quatrième candidat, Reinaldo Quijada, n’a pas obtenu plus de 35 000 voix.
Les élections se sont déroulées de manière incontestable et sans incidents majeurs selon les témoignages des observateurs internationaux invités à participer. En comparaison avec les irrégularités flagrantes qui ont eu lieu lors des récentes élections au Honduras ou les dénonciations du candidat Efraín Alegre au Paraguay, le scrutin peut être catalogué comme absolument légitime.
On ne peut accuser le gouvernement bolivarien d’avoir forcé les électeurs à se présenter aux urnes vu que le vote est facultatif, au contraire des électeurs argentins qui sont obligés d’aller voter.
En raison de cette liberté d’exercer ou non le droit de vote, l’opposition plus radicale ne peut s’adjuger entièrement le niveau d’abstention bien qu’ils aient appelé à le faire. Le pourcentage de votants, selon la projection des autorités électorales, fut de 48 %, six points de plus que la participation l’année dernière à l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante.
Il n’y a pas de doute que le boycott de la droite nationale et internationale a eu une incidence, avec un impact plus important dans les classes moyenne et haute, bien moindre que ce que leurs dirigeants espéraient. De plus, il faut pondérer cette abstention en tenant compte d’une certaine fatigue électorale des électeurs - quatre convocations aux urnes en un an -, l’existence d’un nombre incertain de Vénézuéliens inscrits sur les listes mais qui ont peut-être émigré et quelques actions menaçantes ou boycott, ce qui a réduit l’univers total possible de votants. Ces avatars, s’ils montrent bien l’antagonisme connu d’une portion de la société à la Révolution bolivarienne, n’entament pas la légitimité du scrutin.
En termes de nombre de votants, Nicolás Maduro a obtenu un chiffre proche des six millions de voix (5 823 728 avec 92 % des tables comptées), perdant ainsi une partie des sept millions et demi de votes obtenus en 2013. Il est licite de penser que parmi eux, il existe un contingent d’adhérents en désaccord avec la politique actuelle et qu’une certaine partie de la population accuse le coup à cause des difficultés quotidiennes, sans oublier l’usure naturelle de tout gouvernement. Par contre, le grand nombre de votes obtenus et l’évidence de la victoire parlent du maintien d’un ample noyau dur de soutien au chavisme dans la population vénézuélienne.
S’il faut prêter attention à des critiques externes telles que celles émises récemment par le nouveau président du Chili, Sebastián Piñera, on peut rappeler que son pays montre une des plus grandes abstentions au monde, quelques 51 % lors du dernier scrutin. C’est également le cas en Colombie, un des pays qui questionnent la qualité démocratique vénézuélienne. Le président sortant Juan Manuel Santos a été élu avec un peu plus de la moitié des 48 % des personnes qui sont allées voter. Pourcentage identique à celui des élections vénézuéliennes et un peu supérieur à la moyenne historique colombienne entre 1978 et 2010, selon les informations issues du propre Registre National colombien.
Et que dire des États-Unis, qui se targuent d’être le gardien universel de la démocratie ? Les dernières élections présidentielles ont attiré 55,4 % de votes valides sur le total des inscrits, mais vu leur système d’élections indirectes, gouverne là-bas un candidat qui a obtenu moins de voix que son adversaire (46 % Trump, 48 % Clinton). L’autre accusation, celle d’utiliser un système clientéliste ou de votes captifs, devrait faire rougir de honte les gouvernements de l’Amérique latine qui s’érigent en inquisiteurs de la démocratie vénézuélienne. Une belle galerie de ces pratiques peut être étudiée dans l’énorme palmarès antidémocratique mexicain, autre gouvernement qui soutient la campagne contre le Venezuela.
La condamnation de la machinerie de mobilisation populaire développée par le chavisme, qui lui a gagné tant de victoires électorales, s’explique par le mépris intéressé des critiques de l’organisation populaire -décisive pour atteindre des conquêtes sociales largement déniées aux majorités négligées.
La victoire électorale de Nicolás Maduro et de la Révolution Bolivarienne est remarquable car inscrite dans un contexte de guerre économique, de sanctions commerciales, d’efforts d’asphyxie financière, de spéculation monétaire aigue, d’accaparement organisé de produits de consommation de base ou leur commercialisation illégale, de harcèlement et de diffamation des principales figures emblématiques. En somme, un cadre similaire à celui qu’ont subi de nombreux gouvernements progressistes ou de gauche qui se sont opposés aux aberrations coloniales du pays du Nord.
Le principal problème de la démocratie au Venezuela n’est pas le produit de désaccords politiques internes, qui existent bien sûr, mais vient de l’extérieur.
Le problème n’est pas le Venezuela mais la politique extérieure états-unienne
Il n’y a pas de base solide pour délégitimer la réélection de Nicolás Maduro pour une nouvelle période de gouvernement. Cependant, le « régime » états-unien (un mot généralement utilisé dans la presse hégémonique pour qualifier des gouvernements qui lui déplaisent) insiste et conspire pour la non reconnaissance du gouvernement élu par une ample majorité au Venezuela. Pour cela, il peut compter sur une suite de voix conservatrices en Amérique latine et en Europe, dont les mérites démocratiques, mais surtout sociaux, sont un peu courts. Une belle démonstration a été réalisée par le gouvernement espagnol de Rajoy lors de la répression du peuple catalan après le referendum gagné par les indépendantistes, et par l’arrestation de plusieurs responsables et l’exil de leur président élu. L’Europe entière est assiégée par une vague d’extrémisme néofasciste qui provient des ajustements sévères que le système usurier international impose à sa population. L’Europe n’est pas en mesure de donner quelque leçon que ce soit.
L’extrémisme est aussi la caractéristique remarquable du gouvernement Trump, poussant la planète au bord du cataclysme nucléaire. La menace d’effacer la Corée du Nord de la surface de la terre, la rupture de l’Accord avec l’Iran sur sa production nucléaire, l’abandon de l’Accord de Paris sur le changement climatique, la recrudescence des sanctions contre Cuba, la Russie et le Venezuela, montrent clairement le biais unilatéral de l’actuelle politique extérieure états-unienne.
L’augmentation des dépenses en armements et l’exigence à leurs alliés de l’OTAN d’en faire autant, les attaques contre la Syrie, la complicité avec le régime israélien coupable de l’assassinat et de l’apartheid du peuple palestinien, l’alliance avec la monarchie saoudite responsable de multiples violations des droits humains dans son propre pays et de la mort de centaines de milliers de Yéménites, constituent des preuves irréfutables du visage violent de ceux qui occupent la Maison Blanche.
En Amérique latine, après de nombreux efforts pour faire plier ou tomber de manière anti-démocratique un gouvernement élu, la rancœur géopolitique nord-américaine s’est transformée en menace explicite d’intervention armée. L’expérience accumulée par les États-Unis lors de nombreuses conspirations antérieures, fait penser à la confluence de tactiques illicites diverses, parmi lesquelles le financement de groupes mercenaires, la cooptation de membres des Forces de sécurité ou la constitution de soi-disant « alliances de la communauté internationale ou latino-américaine ». Sans oublier les tentatives de magnicides.
Au-delà du succès ou non de l’objectif visant à écarter le gouvernement bolivarien, le véritable objectif de toute cette pression est d’instituer une sorte de punition exemplaire -aussi vieille que l’histoire elle-même- pour intimider tous ceux qui oseraient se rebeller contre l’injustice instituée.
Le plus probable est que l’on n’arrive pas en ce moment à une agression ouverte qui n’aurait pas l’accord de gouvernements de droite et qui susciterait une forte résistance. Mais il n’y a aucun doute que les États-Unis continueront d’opérer pour créer un cercle de fer autour du Venezuela, tactique qui, non seulement occasionnera des difficultés majeures à la population que l’on dit soi-disant vouloir aider, mais comme ce fut le cas avec Cuba dans les années 60, aura comme contrepartie le renforcement d’alliances du gouvernement vénézuélien avec la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran et d’autres acteurs de la multipolarité émergente.
Des moyens qui justifient la fin
L’encyclopédie en ligne Wikipedia signale que l’expression « la fin justifie les moyens » -dont l’origine fut injustement attribuée aux jésuites par leurs détracteurs- fut écrite par Napoléon sur la dernière page d’un exemplaire du « Prince » de Nicolas Machiavel, on suppose comme une synthèse de lecture. Il n’y a pas de doute que le principe peut être attribué au philosophe florentin, surtout par rapport au contenu du chapitre XVIII de cette œuvre. Le passage le plus éloquent : « Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État ; s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables… » Des siècles plus tard, dans une inversion tout aussi pragmatique de cet aphorisme, les moyens sont appelés à justifier la fin. Les moyens massifs de diffusion, les médias. [Jeu de mot de l’auteur. En Espagnol, le mot ‘medios’ signifie à la fois ‘moyens’ et ‘médias’. NdT]
C’est à travers eux avec leur propagande et l’information biaisée, c’est par par l’intermédiaire de scénarios cinématographiques élaborés, que l’on s’efforce de convaincre les publics des bontés du système capitaliste, de la culture occidentale et la nécessité et justesse des guerres (des croisades ?) qui sont entreprises en leur nom.
Ces médias, propriétés de quelques groupes économiques, monopolisent et concentrent les audiences de manière écrasante. Ils décident des contenus à montrer ou à ne pas montrer, en exerçant une manipulation indue mais efficace et une censure informative. Leurs lignes éditoriales empêchent le libre exercice de la profession journalistique en expulsant de leurs rangs toute personne qui ne militerait pas idéologiquement pour leurs propositions commerciales et politiques, trahissant ainsi les principes déontologiques élémentaires.
Ces véhicules audiovisuels hégémoniques sont habituellement utilisés pour générer des sentiments communs juste avant une agression contre un pays. La démonisation de l’ennemi, l’insidieuse caricature de certains de ses aspects, sont les techniques utilisées pour générer une aversion et l’épouvante du spectateur non averti. Cette agression communicationnelle est toujours le premier pas destiné à préparer l’opinion publique et à produire un sentiment d’acceptation afin de justifier l’immense souffrance que provoquera la dévastation belliqueuse. C’est ce qu’il s’est passé en Lybie, en Irak, en Syrie -pour ne mentionner que des événements récents- et le même stratagème éculé est à l’œuvre au Venezuela.
Pour cela, comme défense préventive et efficace de la paix, il faut arrêter la vague de désinformation qui annonce le conflit et résister à ses effets néfastes. Si, pour les personnes de bonne volonté, il est universellement accepté que la fin ne justifie en aucune façon la fin, il est nécessaire d’instituer la maxime inverse. Les médias ne doivent servir à justifier aucune fin.
- Javier Tolcachier est chercheur au Centre mondial d’Études humanistes, organisme appartenant au Mouvement Humaniste.
Article en Espagnol publié par ALAI sur www.alainet.org/es/articulo/192985
Traduit par Jac Forton
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