Les risques numériques de la pandémie actuelle
- Análisis
Le virus SARS-CoV-2 a mis en échec la faible architecture mondiale et souligne l’importance de la dimension sociale. La mobilité humaine, la propagation virale et les vulnérabilités sont trois forces clés, agissant plus rapidement que le politique et le culturel. Les écosystèmes d’information et de communication électronique sont étroitement liés à ce bouleversement. Quel rôle jouent-ils ?
Premièrement, les réseaux de communication numériques jouent un rôle beaucoup plus résilient que d’autres infrastructures, telles que les infrastructures de santé, qui ne sont pas préparées à une telle pression des soins de santé et ne peuvent pas évoluer aussi rapidement. Le coût d’entrée, l’ouverture et la flexibilité d’Internet l’ont remis en quelque sorte au rang de bien commun où chacun peut utiliser les ressources numériques, toujours en fonction de ses niveaux de connectivité et de l’état de droit actuel. Ceci est illustré par le trafic Internet et la stabilité du réseau, avec une augmentation moyenne globale de 29% (selon Akamai). Une autre preuve de flexibilité est la demande accrue de services informatiques en nuage depuis février chez des opérateurs comme Amazon ou Microsoft (même chose chez les opérateurs chinois). Cette connectivité a dynamisé de nombreuses initiatives communautaires dont les formes créatives dépassent les approches de l’État et des acteurs privés[i].
Depuis le début de la pandémie en février 2020, les ressources numériques ont été largement utilisées pour consolider les réponses sociales et sanitaires. Mais la pression pour agir dans l'urgence a conduit à une superposition de réponses usurpatrices, liberticides et même déstabilisatrices, au détriment des droits et faisant croitre in fine l’anarchie qui règne dans le cyberespace. Comme ce fut le cas lors d’événements historique de même ampleur, les attentats du 11 septembre 2001 par exemple, la crainte est que ces mesures exceptionnelles ne restent ancrées dans la normalité institutionnelle ultérieure. Une nouvelle fracture s’ajoute à celle plus traditionnelle de la surveillance totalitaire versus l’empowerment des citoyens: celle de la solidarité mondiale versus l’isolement nationaliste. Alors qu’en 2014 les efforts de coordination contre l’épidémie d’Ebola avaient été menés par les États-Unis, cette responsabilité est désormais diffusée; ni l’OMS, ni le G20, ni l’Union européenne ni la Chine ne sont en mesure d’assumer ce rôle à ce jour.
La Chine reflète actuellement les avancées les plus extrêmes en termes de vulnérabilité sanitaire, de surveillance de masse et de manipulation de l’information. Fin décembre 2019, le gouvernement chinois a censuré[ii] des médecins de Wuhan (Li Wenliang et Ai Fen[iii]) ainsi que les médias qui ont publié des alertes sur l’épidémie virale sur les plateformes Weibo et WeChat. Plusieurs internautes ont réussi à les publier en cryptant le contenu publié afin de contourner les algorithmes de censure[iv], tandis que les migrations humaines internes liées à la célébration du Nouvel an chinois et à la mobilité mondiale propageaient le virus de façon exponentielle[v]. L’influence exercée sur l’Organisation mondiale de la santé a également contribué à retarder la réponse mondiale. Faut-il rappeler également que les États-Unis eurent connaissance du risque sanitaire dès décembre 2019 et que l’administration nord-américaine préféra tourner le dos au phénomène[vi]? Bien que d’autres systèmes de surveillance informatisés aient sonné l’alarme, l’alerte mondiale de l’OMS a été déclarée un mois plus tard, le 30 janvier. Depuis cette date, la Chine (et d’autres) a lancé une vaste propagande diplomatique et informationnelle[vii] pour modifier les narratives à l’échelle internationale.
La pandémie étant déjà en marche, elle a entraîné une série de mécanismes de surveillance dans de nombreux pays, quels que soient leurs régimes politiques. En Chine, la surveillance des smartphones, des centaines de millions de caméras de reconnaissance faciale et l’obligation de signaler la température corporelle et l’état de santé se sont combinées afin que les autorités puissent identifier les individus potentiellement contaminés et ceux avec lesquels ils ont pu être en contact. Certaines applications mobiles permettent aux utilisateurs de vérifier leur proximité avec les patients infectés[viii]. Mouton Numérique[ix] ou Privacy International[x] listent les mécanismes juridiques et technologiques mis en place. À cet égard, Israël, le Vietnam, la Russie, l’Australie, l’Indonésie, l’Inde, la Suisse, l’Italie, la Bulgarie, la France, la Slovaquie, la Croatie, le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis et l’Équateur sont les pays les plus agressifs. Taïwan, Singapour et la Corée du Sud ont eu les résultats de santé les plus remarquables car ces mécanismes ont été mis en œuvre avec une plus grande transparence, une meilleure coopération citoyenne en coordination avec d’autres mesures de santé (tests systématiques, masques).
Cette sorte d'avalanche gouvernementale a été couplée à l’engagement discrétionnaire de plusieurs entreprises et services, allant de Facebook, Slack, NSO Group et Social Sentinel à Google, WeChat et Zoom, qui ont tiré parti des demandes pour renforcer leurs marchés, en particulier dans les secteurs de l’éducation[xi], santé, sécurité et télétravail. Ces dernières semaines, toutes les organisations de défense des droits numériques ont suivi et divulgué les manœuvres de ces services.
À l’instar du cas du virus Ebola en 2014[xii], le nouvel arsenal de mesures technologiques qui découplent leur objectif d’intelligence artificielle du respect des droits, pose de sérieuses limites, tant dans leurs résultats que dans leurs modalités. Leur action intrusive brise la relation de confiance et de coopération nécessaire pour résoudre une telle crise. Le paradoxe chinois parle de lui-même. Une forte agitation interne[xiii] secoue le pays, indiquant qu’un certain degré de confiance dans les autorités s’est érodé. On verra dans les prochains mois quels pays seront les plus lucides pour développer des solutions technologiques moins basées sur une approche unisectorielle et monolithique et miser davantage sur des initiatives complexes et coordonnées.
(Traduction de l’auteur)
- François Soulard, https://dunia.earth
Article publié en espagnol dans l’édition No. 4 (abril 2020) de la revue numérique : Internet Ciudadana
[i] The horror films got it wrong: This virus has turned us into caring neighbours, Georges Monbiot, https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/31/virus-neighbours-covid-19
[ii] https://citizenlab.ca/2020/03/censored-contagion-how-information-on-the-coronavirus-is-managed-on-chinese-social-media/
[vi] https://www.washingtonpost.com/national-security/us-intelligence-reports-from-january-and-february-warned-about-a-likely-pandemic/2020/03/20/299d8cda-6ad5-11ea-b5f1-a5a804158597_story.html
[vii] https://www.propublica.org/article/how-china-built-a-twitter-propaganda-machine-then-let-it-loose-on-coronavirus
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