“C’est du chinois”

19/11/2020
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“C’est du chinois”, voilà une phrase que l’on dit souvent sans trop réfléchir quand il s’agit de souligner le caractère incompréhensible de quelque chose. Et pourtant, ce mot “chinois” ne va pas de soi. Un paragraphe d’introduction ne suffirait pas à rendre compte de la complexité de la construction européenne de ce que l’on nomme dans les langues européennes le “chinois”. 

 

Ce qu’il nous est par contre possible ici d’introduire est le fait que les pays européens voient la Chine dans son ensemble comme un pays, et c’est en ce sens qu’ils considèrent les dialectes qui le peuplent comme faisant partie de ce que l’on a l’habitude de considérer le “chinois”. Au vu de la taille importante du pays, la question de savoir ce qu’est le chinois demeure néanmoins ambiguë et la multiplicité de la Chine semble ne pas pouvoir être niée.

 

cartaz de Victor Hugo Marreiros

 

De la même façon que les européens voient la Chine comme un pays, il est certains chinois qui considèrent généralement l’Europe également comme une sorte de grand pays dont les pays membres seraient comme des provinces, et c’est du moins ce que nous avons pu remarquer dans différents articles en chinois mandarin relatant des différences dans l’architecture de régions en Chine quand il était par exemple question de comparer les architectures d’une région culturelle du sud de la Chine à celle du sud de l’Europe.

 

Pour comprendre la multiplicité historique et culturelle de la Chine, les regards aussi multiples des sinologues européens au long de l’histoire sont une source si précieuse. Par exemple, il est intéressant de noter ici que le Portugal a longtemps vu la Chine au travers de la culture cantonaise via le prisme de Macao qu’il prenait pour un représentant de la culture chinoise dans son ensemble. Le fait que les “interprètes-sinologues” mixtes macanais-portugais aient un moment considéré le cantonais comme le “chinois”, relayant du même coup le mandarin au statut de “dialecte de Pékin”, est un fait également notable.

 

Le Portugal est le pays européen qui a entretenu via Macao le plus long contact avec la Chine. En tant qu’émotionellement très attachés à Macao, il nous est toujours un peu douloureux de constater que malgré cet héritage de contacts privilégiés et prolongés avec la Chine, la sinologie portugaise ne puisse aujourd’hui pas trouver une place de choix dans le monde du marché du livre et de l’académie.

 

Au long de l’histoire de la sinologie portugaise coloniale, les sinologues coloniaux portugais semblent avoir été motivés par leur amour et leur curiosité pour ce qui les entouraient et avoir ainsi construit leur savoir sur la Chine via leur environnement immédiat à Macao. C’est de cet amour et de cette curiosité que naquit un réseau de documents témoignants de la culture populaire cantonaise de l’époque - qu’ils nommaient quant à eux la “culture chinoise” -, et c’est précisément en cela que la sinologie portugaise coloniale mérite l’attention de la sinologie ; en ce qu’elle offre un regard originale et inédit sur la Chine via le prisme de Macao.

 

L’originalité de cette sinologie portugaise et de la Chine cantonaise qu’elle proposait - bien qu’elle était présentée par les portugais eux-mêmes comme la “Chine chinoise” - se laisse par exemple entrevoir dans le fait que les portugais de l’époque transcrivaient les mots chinois dans les textes en portugais selon leur prononciation en cantonais et non pas en mandarin comme c’est aujourd’hui le cas. Dans les anciennes transcriptions portugaises du 20e siècle, le cantonais utilisé pour les transcriptions semble de plus s’éloigner du cantonais standard que l’on connaît aujourd’hui. Il se pourrait que le cantonais n’ait pas encore été standardisé à l’époque. Il se peut également que le cantonais utilisé soit celui qui était tout spécifiquement parlé à Macao à l’époque, mais cette question devrait faire l’objet d’une plus ample recherche.

 

Malheureusement, on continue aujourd’hui d’entendre cette phrase “c’est du chinois” qui reflète bien la manière dont la Chine est perçue par les européens: qu’un ensemble plus ou moins homogène au sein duquel Macao et la culture cantonaise auraient perdu le statut de représentant de la culture chinoise qu’ils avaient aux yeux des colonisateurs portugais et se retrouvent relégués au rang de sous-culture tandis que le cantonais devient un dialecte parmi les autres en Chine. 

 

L’homogénéisation de la sinologie en général est de plus en plus frappante, et cette homogénéisation se remarque également dans le monde lusophone aujourd’hui à l’heure où les portugais qui ont longtemps été si peu à apprendre le cantonais sont aujourd’hui si nombreux à apprendre le mandarin standard, ou autrement dit, ce “chinois” de la phrase que nous utilisons si volontiers pour décrire l’incompréhensibilité de quelque chose.

 

Il semblerait que l’époque où le cantonais était considéré comme le “chinois” et Macao comme le représentant culturel de la Chine des sinologues portugais soit bel et bien révolue. Mais, quand on y pense, recentrer la sinologie portugaise sur son ancienne colonie ainsi que sur le cantonais ne serait-il pas justement la chance à saisir par cette sinologie pour s’octroyer de par la spécificité et l’originalité de son point de vue une place de luxe au sein du monde littéraire et académique actuel ?

 

15 novembre 2020

https://www.buala.org/fr/a-lire/c-est-du-chinois

 

 

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/209843

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