Des fenêtres carcérales aux quadrillages de « Zoom »
A 45 años del Golpe militar en Argentina del 24 de marzo de 1976, la historia y los sentimientos se entremezclan para parir Corondaes.
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Le confinement et la réclusion carcérale. Le poids de la solitude et la conviction de la résistance collective comme arme de survie. 45 ans après le coup d’Etat militaire du 24 mars 1976, en Argentine, l’histoire et les sentiments s’entremêlent pour créer Corondaes. Une expérience audiovisuelle collective élaborée de septembre à novembre 2020, en plein confinement pandémique.
Si l’isolement inhumain n’a pu vaincre les prisonniers politiques otages de la dictature, la réclusion causée par la crise sanitaire ne semble pas non plus avoir affaibli l’imagination créative de deux cinéastes, d’une douzaine d’anciens prisonniers politiques de la prison de Coronda* et de cinq jeunes artistes : Adrián Barrionuevo, Mariano Moral, Hernán López, Tomás Raele et Agustín Labiaguerre.
A partir de ce rare mélange générationnel, dans des réalités historiques distinctes – mais liées par l’impact entêtant du confinement – la directrice de théâtre Graciela Camino et la jeune réalisatrice Gabriela Robles ont conçu et dirigé une production de 30 minutes, diffusée à partir de ce 24 mars par différents canaux, réseaux, sites web et médias digitaux.
Gabriela Robles a mis toute son expérience en cinéma communautaire au service du projet et a formé les acteurs, via le lien digital. En leur fournissant les connaissances techniques pour que tout le matériel puisse être filmé par eux-mêmes. Elle a ainsi brisé les préjugés sur ce qu’est la « création artistique », en élargissant les frontières de cette dernière, et ce fut l’artifice de l’intégration digitale du binôme « cellule-zoom », qui donne à Corondaes une empreinte distincte.
« Corondaes fut pour moi une université de vie, où chaque rencontre a nourri le plus profond de mon être. Un projet que j’ai vécu comme défi personnel et où l’axe narratif constitué par le témoignage de vie des ex-prisonniers a transcendé la forme et la manière classique de faire du cinéma », explique Gabriela Robles.
Et elle souligne que cette œuvre documentaire, où la limite entre vie et fiction s’évanouit, a enseigné comment mettre les rares ressources techniques au service de l’histoire, en pensant et en adaptant constamment un projet de production qui procure des espaces permettant de travailler de manière horizontale. « En comprenant que la ‘finalité’ de cette expérience collective, bien au-delà de tout résultat, était l’exercice même consistant à l’élaborer. Nous l’avons vécu avec amour et engagement », ajoute-t-elle.
Corondaes était passé par un moment préalable, probatoire, quasi intime, fin janvier, lors du festival organisé par les Espacios Escénicos Autónomos, ESCENA (https://www.escena.com.ar/tickets/corondaes/) : il y a reçu une première critique stimulante par des commentateurs du milieu culturel.
La prison pandémique
Corondaes démarre à partir du vécu des prisonniers politiques détenus à la prison de sécurité maximale de Coronda, dans le nord de la province de Santa Fe, durant la dernière dictature militaire. Pour résister à un régime quotidien vexatoire, les prisonniers ont parié sur la communication – grâce à des moyens aussi inouïs qu’inimaginables – comme défi principal et argument-clé de la résistance et de la survie.
Le langage en morse avec des petits coups sur les parois des cellules contiguës, ou adapté à des mouvements quasi imperceptibles des doigts à travers les petits trous ronds dans la partie inférieure des portes ; la discussion avec des gestes des mains ; les cours et le dialogue quotidien par les canalisations, les lavabos et les WC. Et la chose la plus désirée, la plus claire, la plus vécue : le colloque par les fenêtres.
Les fenêtres extérieures d’un secteur des cellules des trois étages des pavillons de Coronda se prolongent, maintenant, à travers cette œuvre de témoignage, dans les petits cadres de la communication collective par « zoom », utilisée universellement durant la pandémie.
De cette interrelation et de ce jeu entre le passé carcéral et le présent confiné, surgit cette pièce théâtrale digitale. Où les questions essentielles des prisonniers d’hier et des acteurs d’aujourd’hui continuent d’être quasiment les mêmes : le sens de la vie, le combat contre l’isolement suicidaire, la force du collectif pour dépasser les limites personnelles ; l’unité et la discipline comme instruments de résistance. Et l’essentiel : le sens de la lutte en faveur de la justice, de l’Homme Nouveau dans un Autre Monde Possible.
La résistance étreint la dignité
« En ce temps-là, la réclusion fut le mauvais remède pour les désobéissances. Isolement et cellule. Règlement et châtiment. Heures vides. Formes de l’anéantissement pour étouffer la rébellion », estime Graciela Camino en introduisant l’œuvre sur un ton affirmatif et de questionnement.
Et donner une réponse nette : « Le souffle glisse par les fentes. Les rayons ne cessent pas et les prisonniers travaillent pour la liberté. Ils luttent, à partir du confinement, pour survivre et revenir pour le tenter. De nombreuses années plus tard et dans une autre réclusion, l’histoire se répète pour se reconnaître elle-même dans le regard d’autres générations... ».
Et si le souffle évite les barreaux, « la lumière du projecteur va et vient sur le mur du pavillon, il passe par la fenêtre de ma cellule, et chaque fois qu’il va et vient, il t’éloigne un petit peu plus », selon la réflexion poétique récitée par Guillermo Martini, l’un des ex-prisonniers qui jouent dans Corondaes. Les amours et la liberté – produit des années accumulées de réclusion – s’éloignent comme l’horizon lui-même...
Graciela Camino revient à aujourd’hui et insiste sur le fait que « la mémoire tisse des fictions et nous ne savons plus qui est qui, ou si auparavant c’est maintenant, ou si vivre c’est agir, si la réclusion et la résistance sont les liens qui nous ont portés jusqu’ici, à cette prison pandémique figurée ».
Peut-on haïr une prison comme celle de Coronda ? « Plus que les barreaux et les cellules, la haine fut et continue d’exister envers ceux qui nous tourmentèrent, c’est-à-dire ces êtres humains qui s’acharnèrent contre nous, qui étions alors des jeunes, des êtres humains ayant laissé dehors des amours ardentes – englouties par le temps – et des rêves non accomplis », répond à l’unisson le collectif El Periscopio.
Néanmoins, la prison « fut notre terrain de lutte pendant des années. Raison pour laquelle elle nous unit aujourd’hui dans une relation contradictoire d’amour, de haine et de résistance », souligne le collectif.
Quinze ans plus tôt
Corondaes ne surgit pas de rien. Il y a quinze ans de cela, avec une partie des mêmes protagonistes actuels, Graciela Camino a élaboré et présenté Coronda en Acción. Cataloguée comme une intervention artistique, cette œuvre s’est nourrie du livre Del otro lado de la mirilla, collectif et anonyme, écrit par 70 ex-prisonniers politiques de cette prison de Santa Fe et publié en 2003.
La première présentation à Santa Fe eut lieu le 16 mars 2006 à Villa Constitución, lors du 32e anniversaire de la révolte ouvrière connue sous le nom de « Villazo ». Coronda en Acción, montrée des mois auparavant à Buenos Aires, passa sur des scènes très diverses, dans différentes villes du pays, et scella un « pacte d’amour » entre la directrice de théâtre, les jeunes acteurs et les ex-prisonniers de Coronda.
Les allées et venues de ce geste partagé, de ce labyrinthe carcéral-résistant, se rajeunissent maintenant que les sociétés humaines se confrontent globalement à des paradigmes de réclusion et d’isolement social.
Une conjoncture idéale pour réfléchir à nouveau sur l’essence même de l’être humain collectif. Que signifient la vie et l’engagement dans des situations complexes comme celles d’hier et d’aujourd’hui ? Graciela Camino n’hésite pas à répondre : c’est l’histoire, une continuité, un renouveau de l’utopie, une aventure... qu’on commence à entrevoir dans une œuvre de témoignage telle que Corondaes.
* Les ex-prisonniers participant à Corondaes sont Reynaldo Benítez, Hugo Borgert, Sergio Ferrari, José Kondratzky, Alberto Marquardt, Guillermo Martini, Victorio Paulón, Hugo Pot, Roberto Pozzo, Augusto Saro y Alfredo Vivono. Tous sont membres de l’Association civile El Periscopio, éditrice du livre Del otro lado de la mirilla – dont la 3e édition vient d’être présentée le 18 mars – et de sa version française, Ni fous, ni morts, publiée en Suisse en 2003 et largement diffusée en Europe francophone (https://www.youtube.com/channel/UCaz3c1UtAu6FMsLXefmwJ5A). Ont aussi contribué activement à la réalisation de Corondaes : Jorge Gazzaniga, Pájaro Coutino, Juan Dell’Oro y Daniela Abadi.
A partir du 24 mars, on peut voir Corondaes, sur : www.elperiscopio.org.ar
La version, sous-titrée en français, se trouve sur : https://vimeo.com/51835424
Également à disposition sur : https://www.youtube.com/watch?v=G18LTkssir0
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Une autre fois, la nuit, dans l’obscurité de la cellule
La 1’237e nuit.
Il pleut lentement et cela fait 1’237 nuits que tu n’es pas avec moi. Que je ne te vois pas.
Je ferme les yeux et je tente de me souvenir de toi, et je ne peux pas.
Je tente de récupérer la tendresse que me donnaient ton sourire, ta voix, la couleur de tes yeux, ton odeur. Je cherche dans les recoins de ma mémoire, où tu es, pour te maintenir vivante.
Mais je suis en train d’oublier ton sourire, je suis en train d’oublier ton odeur, la couleur de tes cheveux. Je suis en train d’oublier tout ce que j’aimais chez toi.
La lumière du projecteur va et vient sur le mur du pavillon, il passe par la fenêtre de ma cellule, et chaque fois qu’il va et vient, il t’éloigne un petit peu plus.
Le bruit fracassant des grilles qui s’ouvrent et se ferment dans le silence de la nuit me rappelle que je reste prisonnier... que je suis seul. Il pleut.
Et c’est étrange de s’étonner.
Guillermo Martini, ex-prisonnier politique, Corondaes
Traduction de l’espagnol: Hans-Peter Renk
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