Decolonisation, reparation, developpement
15/05/2013
- Opinión
Nous sommes, à la fois, à un tournant notable dans l’évolution politique de notre pays et dans une phase décisive de l’histoire de l’humanité. Dans un tel contexte, il est indispensable que nous approfondissions nos réflexions pour être en mesure de comprendre les nouvelles réalités et pour définir les pratiques qui nous permettront d’agir sur celles-ci. A nos yeux donc, ce colloque organisé par le MIR a une très grande importance, et le thème choisi : « Décolonisation, Réparation et Développement », nous permet d’aborder des questions fondamentales.
Je remercie chaleureusement les organisateurs de m’avoir invité à participer aux échanges.
De notre point de vue, la lutte de décolonisation, l’exigence des réparations et la mise de notre pays sur les rails d’un développement humain, durable et solidaire sont trois bases indissociables sur lesquelles nous devons appuyer notre action politique.
I/ Decolonisation
Nous nous arrêtons d’abord sur la question de la décolonisation parce que c’est le cadre déterminant. C’est, en effet, la colonisation qui a occasionné la traite des noirs et l’esclavage ; c’est elle qui a dessiné les rapports politiques, économiques et sociaux, inégaux et déstructurant, que nous subissons toujours. Ce cadre est d’autant plus déterminant que le contexte mondial actuel se caractérise par le fait que les puissances impérialistes piétinent tous les acquis des luttes de décolonisation. Nous assistons, en effet, à la réappropriation massive de terres en Afrique et en Asie, à la recrudescence des guerres coloniales et à la remise en cause de la souveraineté des pays du sud à qui sont imposés les dictats venant d’instances internationales manipulées par les impérialistes. Cette nouvelle donne implique que, face au caractère intégré de la stratégie des pays dominants et à la globalisation néolibérale, doit s’opposer le développement d’une offensive coordonnée des peuples colonisés et néo-colonisés en même temps que la globalisation des alternatives.
Il y a donc urgence à intensifier la bataille sur le front de l’opinion et dans les institutions internationales
1- pour défendre le droit formel à l’auto-détermination et à la souveraineté, car ce droit est largement remis en cause par le prétendu « devoir d’ingérence humanitaire » que se sont octroyés les impérialistes.
2- pour mettre fin aux situations iniques qui persistent dans les relations internationales. Nous pensons, par exemple, à l’organisation du Conseil de Sécurité de l’ONU et au droit de veto des « grandes puissances ».
3- pour conquérir de nouvelles positions. A cet égard, toutes les leçons n’ont pas été tirées de certaines avancées réalisées qui montrent le champ du possible. J’en cite deux exemples :
a- Le jugement de la Cour suprême de Belize établissant la primauté des droits préexistants des Mayas sur leur territoire par rapport aux acquisitions faites par les Britanniques et les gouvernements successifs.
b- Les succès enregistrés en Inde et en Afrique du sud contre les multinationales de l’industrie pharmaceutique à propos de la production des médicaments génériques.
Le combat sur le terrain juridique et diplomatique s’impose donc. Mais, nous devons garder à l’esprit que la décolonisation ne saurait se résumer à un réaménagement des relations entre puissances dominantes et pays colonisés. L’objectif final est bien de redessiner les structures politiques et sociales et d’initier une profonde mutation de l’économie. Ce qui ne peut se concevoir sans la désagrégation du système impérialiste.
II/ La Reparation
Ce cadre posé, nous pouvons aborder la question de la Réparation. Celle-ci peut-être considérée sous plusieurs angles :
1) l’angle politique : Exiger réparation revient à désigner des coupables encore aux commandes du pouvoir. Il est évident que ceux-ci chercheront à torpiller ou à contourner toutes initiatives prises en ce sens. Dans le même temps où ils tentent de marginaliser cette revendication, en la présentant comme le fait d’une agitation de minorités passéistes, les gouvernements impérialistes multiplient déclarations de principe, gestes et manifestations symboliques qui, selon eux, devraient suffire à tourner la page. Il faut dire que, dans cette manœuvre, ils trouvent le soutien de certains défenseurs déclarés du droit des peuples. Ces derniers en arrivent à discréditer le combat politique pour la réparation afin que celui-ci n’entrave pas leurs démarches réformistes.
Il reste que ce combat prend de plus en plus d’ampleur au niveau international. Les positions récentes prises par certains pays Caribéens ont été évoquées. Mais il faut signaler aussi les avancées réalisées dans le reste du monde. (Océanie, etc.)
2) l’angle juridique : Comme le dit le MIR, le principe de la Réparation n’est pas négociable. Il ya eu crime contre l’humanité. Les responsables sont identifiables. Les torts doivent être reconnus, les préjudices évalués et les victimes indemnisées. Cela d’autant plus que le crime se perpétue aujourd’hui.
Le droit à réparation est un principe admis par toutes les législations occidentales, et les colonialistes ne se privent pas d’exiger son application quand ils sont eux-mêmes concernés. (Indemnisation de la France et de la Grande Bretagne par l’Allemagne après les deux guerres mondiales). Les impérialistes invoquent même ce droit à réparation pour couvrir leurs rackets. (On pense aux sommes volées à Haïti pour indemniser les esclavagistes et les colonialistes, ou aux « réparations» que les pays occidentaux ont extorqué à l’IRAK après la guerre d’agression qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée sur la base de mensonges.
Il est donc légitime, c’est aussi notre devoir, de poursuivre la bataille sur le front juridique. La pression des gouvernements progressistes et des associations internationales engagés sur ce front là a déjà porté des fruits. Dans de nombreux pays des lois sont votées pour reconnaître en partie les crimes. (Taubira, etc.) Rappelons, à ce propos, qu’il y a quelques semaines un député d’EELV (Jean-Jacob Bicep) a déposé une déclaration écrite proposant l'instauration d'une "journée européenne des victimes de l'esclavage et de la colonisation européenne." avec le soutien d’Eva Joly et de onze autres députés européens. Dans cette déclaration il est demandé à l'Union européenne de "s'interroger" sur la "dette imprescriptible", contracté par l'Europe au fil des siècles.
Si ce texte recueille une majorité de signatures dans les trois mois, il deviendra un acte officiel du Parlement européen. Mais rappelons aussi, qu’en 2008, en tant qu’eurodéputée, notre compatriote Madeleine de Grandmaison avait déjà lancé une déclaration similaire et qu’elle n’avait pas obtenu le quota de signatures suffisant.
3) le rapport entre les forces en présence : Nous avons évoqué plus haut le contexte mondial. Il faut y revenir en signalant la sévère bataille qui se livre dans les instances internationales entre les pays impérialistes et les pays dominés quant à la question de la Réparation. Nous citons un seul exemple : les tentatives de sabotages de la dernière conférence de DURBAN par les occidentaux ;
Autant dire qu’il y a lieu de faire preuve de la plus grande lucidité en définissant les revendications en matière de Réparation et les démarches à emprunter pour les faire aboutir. Les seules affirmations de principes ne sont plus de mise et toutes les mesures que nous proposons doivent être passées au tamis de la faisabilité ! Autrement dit, nos revendications en matière de réparation doivent être le fruit d’une réflexion approfondie, le fruit d’un minutieux travail technique pour en saisir la portée et la faisabilité sur le plan juridique et pratique et, surtout, elles doivent correspondre à la volonté et aux capacités de notre peuple à les assumer.
4) les modalités: Le moins que l’on puisse dire c’est que les réflexions concernant les modalités de la Réparation ne sont pas particulièrement avancées dans notre pays. Pour lancer le débat, nous ne nous étendrons pas sur les problématiques posées au niveau international. (Annulation de la dette, etc.) Nous souhaitons seulement évoquer la singularité de notre situation à travers une illustration.
De nombreuses idées ont déjà été émises, chez nous, concernant les modalités d’une éventuelle réparation. (Imposer aux gouvernements coupables la création d’un Fonds de Développement, soutien aux recherches généalogiques, etc.) Mais, il est une mesure qui est souvent présentée comme devant être la revendication majeure : il s’agit de la réforme agraire. C’est justement, parce qu’il est significatif, que je m’appuierai sur cet exemple.
Il est clair que la question de la réforme agraire ne se pose pas dans notre pays dans les mêmes termes que dans les pays colonisés où les masses paysannes représentent une large majorité de la population. Comment pourrions-nous avancer cette revendication sans la rapporter à la législation relative au droit de propriété à laquelle nous sommes actuellement soumis et sans envisager les implications au plan juridique ? Quelles terres sont précisément concernées ? Quelles serait leur affectation ? Cette réforme est-elle envisageable dans le cadre du statut néocolonial ? Quid du rapport de force qui permettrait de l’imposer ? La résolution du problème des occupants légitimes des anciennes terres d’habitation ne constitue-t-elle pas un objectif plus immédiatement réalisable en matière de Réparation ? Au total, pouvons-nous nous satisfaire d’énoncer l’exigence de la Réforme Agraire sans répondre à ces questions là ?
5) l’autoréparation : Je ne crois pas qu’on puisse contester que la colonisation, la traite des noirs et l’esclavage aient provoqué des traumatismes chez les colonisés que nous sommes. Mais je tiens, d’emblée, à poser l’idée que, d’une part, ce que nous sommes aujourd’hui, n’est pas seulement le résultat de cet aspect là de notre passé et que, d’autre part, notre peuple n’a jamais cessé d’être en résilience. Ce qui s’est notamment manifesté par la création de notre culture, l’organisation d’une économie de survie, des réponses intelligentes aux discriminations, etc. (ex. stratégie dans école laïque)
A ce sujet il me plait de citer la déclaration de madame MAKOTA VALDINA, publiée sur le site CARIB CREOLE NEWS où elle affirmait : « JE NE SUIS PAS UNE DESCENDANTE D’ESCLAVE, JE DESCENDS D’ËTRES HUMAINS QUI ONT ETE REDUITS EN ESCLAVAGE. ».
Une chose est sûre, en tout cas : la véritable REPARATION des dommages liés à la colonisation et aux séquelles de l’esclavage, ne peut être réalisée que par nous-mêmes. Elle viendra de notre capacité à continuer notre chemin d’être humain. J’en profite pour préciser que, dans ce cheminement, nous devons nous purger également des autres formes de discriminations et d’oppression qui ont dévoyé notre humanité. Je veux parler de l’oppression des femmes, de l’exploitation et de la dévalorisation des classes populaires par les classes sociales dominantes.
« L’auto réparation » à laquelle nous faisons allusion passe, selon nous,par :
- la réappropriation de notre histoire et sa divulgation pour une fraction plus large de nos peuples respectifs,
- le combat pour l’épanouissement de notre culture,
- la lutte contre l’aliénation et pour la valorisation de nos potentialités,
- la mobilisation pour que les résistances mises en œuvre par notre peuple sur le plan économique se muent en projet global de développement alternatif.
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III/ Le developpement
Au début de l’exposé, je disais que décolonisation, réparation et développement devaient être des bases indissociables de notre combat politique. Ici, je veux insister sur l’idée que ces trois piliers s’inter-conditionnent. Jeter les bases d’un développement alternatif au moyen de la construction de contre-pouvoirs, c’est en même temps conforter le processus de décolonisation.
Au plan économique, cela implique la mise en œuvre d’une stratégie visant au décrochage par rapport à la globalisation néolibérale et à la satisfaction des besoins prioritaires de nos peuples.
Au plan politique, cela impose que, parallèlement à la lutte pour conquérir des positions au sein des institutions contrôlées par le pouvoir colonial, se développe une stratégie de construction d’institutions alternatives rendant effective la démocratie directe et la souveraineté populaire.
Mais, ce que nous avons dit plus haut concernant la problématique de la Réparation vaut pour celle du développement. Toutes les pistes que nous venons d’évoquer resteront lettres mortes, si n’est pas mené le travail de réflexion conditionnant l’élaboration de telles stratégies, si ne sont pas mises en œuvre des pratiques réellement alternatives et dissidentes. (Par exemple en ce qui concerne la production agricole).
C’est pour cela, qu’en guise de conclusion, je me contenterai de citer les taches qui, selon nous, sont essentielles et pourraient être réalisées sous l’égide du MIR :
- L’élaboration d’un mémorandum pour la décolonisation qui pourra servir de support à une campagne visant à internationaliser la lutte de notre peuple et à interpeler les instances internationales,
- Le peaufinage de nos revendications en matière de réparation et la planification de la démarche qui conduira à leur satisfaction,
- L’approfondissement de la réflexion et l’intensification des pratiques relatives à la construction des contre-pouvoirs.
Je vous remercie de votre attention.
- Intervention de Robert SAE au Colloque du MIR – 11 MAI 2013 - Campus de SCHOELCHER
https://www.alainet.org/fr/articulo/75927
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