Reforme ou révolution en Amérique latine

02/09/2014
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Depuis quelque temps le vieux débat « réforme ou révolution », reprend de l’ampleur en Amérique Latine. Cette fois-ci, tout a commencé avec les critiques faites aux gouvernements progressistes, chaque jour plus sévères, émanant autant d’une partie de la gauche radicale que des nouveaux secteurs écologistes.
 
- La critique de la gauche radicale
 
Une bonne partie de la gauche radicale latino-américaine a toujours eu un œil critique vis-à-vis des gouvernements progressistes. Mais ces gouvernements étaient très populaires, s’imposaient aisément dans tous les processus électoraux, étaient et sont constamment harcelés par les droites endogènes et constituent un vrai casse-tête pour les États-Unis.
 
Dans ces conditions, il était difficile pour ces gauches de continuer à se présenter comme révolutionnaires ou d’exprimer leurs divergences, sans risquer de se faire accuser de « faire le jeu » de secteurs conservateurs et de s’aliéner la sympathie notamment des couches les plus pauvres de la population.
 
Le succès de ces gouvernements tient fondamentalement à la politique de redistribution de la richesse, par le biais de programmes sociaux. Ainsi, des aides pour l’éducation, la santé, la protection sociale et le logement, entre autres, ont largement amélioré les conditions de vie des populations les plus démunies. Des millions de personnes ont été arrachées à l’extrême pauvreté et, de façon quasi automatique, ces populations sont devenues pour ces gouvernements un socle électoral solide.
 
Pendant longtemps, il a été quasiment impossible de critiquer ces gouvernements ; d’un point de vue politique, cela aurait été presque suicidaire. Cependant, après la mort de Hugo Chavez, le principal inspirateur de ces changements (tant nationaux, comme régionaux), et les premières grosses difficultés sociales, économiques et politiques que confrontent certains d'entre eux, ont ouvert la possibilité de hausser le ton.
 
Pour cette gauche, le problème principal posé par ces gouvernements est le fait qu’ils n’envisagent pas de mener à bien des véritables transformations, de caractère structurel, notamment en ce qui concerne le pouvoir économique et la participation populaire, qui puissent rendre irréversibles les changements déjà accomplis et en même temps dessiner les contours d’une nouvelle société. Ce qui a été fait jusqu’à présent est très important, mais ce qui le serait bien plus, c’est que ces changements ne finissent pas, dans un proche avenir, dans la poubelle de l’histoire, comme c’est actuellement le cas de l’État Providence dans les pays européens.
 
- La critique écologiste
 
La principale critique des écologistes s’appuie sur l’orientation économique de ces gouvernements, appelée par eux « desarrollista », c’est-à-dire, une orientation qui vise à promouvoir un développement classique, fondé sur l’idée capitaliste du progrès et de la croissance économique qui s’est déjà révélée totalement inefficace pour sortir du sous-développement, et plus grave encore, énormément préjudiciable pour la nature.
 
Au sujet des écologistes, il faut noter que leurs discours ont acquis ces derniers temps un retentissement particulier, avec les multiples catastrophes naturelles que nous inflige déjà le changement climatique. Mais, en Amérique latine, c’est aussi le « boom » de l’exploitation des ressources naturelles (pétrole, gaz, minéraux, monocultures, etc.) qui aiguise les conflits sociaux, de même que les multiples projets de grands ouvrages d’infrastructure (routes, barrages, centrales électriques, etc.), indispensables selon ces gouvernements au développement économique.
 
Les écologistes ont réussi à promouvoir d’importants mouvements sociaux, notamment parmi les communautés concernées par ces projets, telles les populations indigènes. Celles-ci occupent des territoires ancestraux, riches en ressources naturelles et qui sont fortement convoités par les compagnies multinationales. Pour cette raison, parce qu'il s'agit des indigènes, le plus souvent exclus de la politique et de l’économie nationales, ils sont traités par tous les gouvernements y compris par les plus progressistes comme des citoyens de seconde zone.
 
Cette tendance écologiste est donc en train de se transformer en une force politique importante, d’autant plus que de nombreuses personnalités et organisations de la gauche radicale sont venues grossir les mouvements sociaux qui défendent «la tierra, el agua y la vida » (la terre, l’eau et la vie) contre tous les gouvernements progressistes ou conservateurs.
 
En effet, dans le contexte indiqué plus haut, de fragmentation de l’hégémonie progressiste, une partie de la gauche radicale n’a pas hésité à se joindre à ces mouvements parce que, vu son état de délabrement organique et de confusion théorique, cela représente pour elle une bonne occasion d’avoir une certaine présence, de se faire entendre, de gagner quelques nouveaux militants et, bien évidemment, de récolter aussi quelques voix supplémentaires aux prochaines élections.
 
Plus dramatique encore, le cas de certains militants et ex-dirigeants de cette gauche radicale qui se sont convertis en une sorte d’écologisme intégriste. Pour eux, en effet, il ne s’agit plus de combattre le capitalisme, et moins encore de construire une nouvelle société, mais d’arrêter définitivement l’exploitation irrationnelle de la nature qui met en danger la survie de la planète. Pour le dire en deux mots : pour eux, il s’agit maintenant de sauver l’humanité.
 
- Les défenseurs du progressisme
 
C’est à partir de ces nombreuses critiques que, comme on pouvait l’imaginer, sont apparus les défenseurs des régimes progressistes. Curieusement, plusieurs d’entre eux se réclament du marxisme, mais, comme on pourra le voir, non pas du marxisme orthodoxe du 19è et 20è siècle, mais du nouveau marxisme, du 21è siècle.
 
Voici ce qu’ils disent. La gauche radicale n’a en effet rien appris des lourds échecs du socialisme réel. Et elle ne s’est pas aperçue non plus qu’avec l’hégémonie néolibérale au niveau mondial, on a changé d’époque. C’est en raison de ce décalage historique que ce qui est devenu forcement « la vielle gauche » ne peut pas comprendre la nouvelle gauche (de Chavez, Correa, Evo Morales, Lula et Kirchner, notamment), la gauche dite « post-néolibérale ».
 
Selon ses vielles recettes, toute révolution doit, une fois qu’elle a réussi à accéder au gouvernement, exproprier à la bourgeoisie, dans les plus brefs délais, es principaux moyens de production, démanteler son appareil répressif et convoquer la population à s’organiser afin d’exercer le pouvoir. Ce scénario n’est plus valable aujourd’hui, car la première exigence, ou si l’on préfère, le nouveau paradigme révolutionnaire, qui correspond mieux à la conjoncture historique, n’est plus de construire une nouvelle société incertaine, mais d’éradiquer l’extrême pauvreté qui touche en effet des millions d’êtres humains dans tous les pays du sous-continent.
 
Cet objectif stratégique et très humanitaire n’a rien d’utopique. On l'a déjà vu même au Brésil ces dix dernières années, avec une bourgeoise hautement développée et avec -pour l'instant- une timide vocation impérialiste, qu'il a pu s'accomplir sans provoquer une guerre civile. Et cela on peut le constater aussi, par exemple au Venezuela, ou les programmes sociaux sont les plus nombreux, et continuent à se développer malgré l’opposition virulente d’une droite cavernaria, encouragé sans faille par l'impérialisme. A tel point qu'on commence à dire, ici et là, que le « socialisme du 21ème siècle » n'est pas forcement incompatible avec la structure capitaliste du pays et l'économie du marché.
 
Pour eux, donc, ces critiques n’ont pas lieu d’être. Elles sont aussi puissamment contestées par un large spectre de la gauche réformiste latino-américaine qui est persuadée d’avoir emprunté, avec ces gouvernements, et les processus d’intégration qui ont vu le jour ces dernières années (ALBA, UNASUR, CELAC, etc.), le chemin définitif de l’émancipation sociale, économique, politique et culturelle du sous-continent. Pour ceux qui ont encore un petit doute sur cet avenir radieux, il faudrait leur rappeler que ces gouvernements sont chaleureusement soutenus et encouragés par le principal icône révolutionnaire de l’Amérique Latine, le Commandant Fidel Castro.
 
- L’alternative au capitalisme
 
Les gouvernements progressistes sont le résultat du ras-le-bol généralisé qui a provoqué dans presque toute l’Amérique latine l’application inclémente des recettes néolibérales. Ces vastes mouvements sociaux, qui ont mis à mal la gouvernabilité oligarchique traditionnelle et qui ont parfois été victimes d’une répression sauvage, ont su trouver dans le secret des isoloirs une parade efficace à la dévastation de ces pays. Il s’agit par conséquent d’un phénomène spontané largement positif qui mérite l’appui de toutes les forces de gauche, mais un appui critique.
 
La critique est plus que nécessaire, car, malgré le fait que certains d’entre eux affirment vouloir instaurer à terme un vague socialisme du 21è siècle, on voit chaque jour qu’ils agissent non en fonction d’un projet sociétal carrément alternatif, mais de contraintes résultant de son étrange et souvent conflictuel concubinage avec la bourgeoisie et l’oligarchie de chaque pays, ainsi que de leurs besoins de conserver leur base électorale afin de faire réélire indéfiniment leur leader.
 
C’est ce que vient de mettre en évidence le gouvernement vénézuélien en répondant aux agressions de la droite et de l’impérialisme par des mesures épidermiques, administratives, après avoir convoqué en urgence et sans succès de pompeuses « conférences de paix ». Tout semble indiquer que l’objectif de la révolution bolivarienne - comme d’autres régimes progressistes ces derniers temps - s’est réduit aujourd’hui à conserver le pouvoir politique et, bien entendu, à payer pour cela le prix qu’il faudra.
 
Depuis quelques mois, nombreux sont les intellectuels connus comme des partisans enthousiastes de ces régimes qui expriment leur déception, et pour certains leur impatience, face à cette absence d’initiatives transformatrices. Et ils craignent le pire, à juste titre, étant donné qu’ils dépendent vitalement des résultats électoraux et que leur popularité s’effrite lentement mais implacablement. À tel point que dans plusieurs pays est en train de se développer une opposition de gauche, constituée de partis et de mouvements sociaux.
 
À l’origine de cette situation, à part les contradictions internes de chaque régime, la crise du capitalisme qui limite considérablement les possibilités de continuer à faire ce qui a été fait jusqu’à maintenant, c’est-à-dire, multiplier les programmes sociaux, faire monter le niveau de l’emploi, préserver ou augmenter le pouvoir d’achat des salariés, combattre les problèmes croissants d’insécurité et les sabotages et provocations de la bourgeoisie et de l’impérialisme. Cela contribue à générer des nouveaux conflits sociaux et à réveiller – malheureusement - le vieux réflexe de la criminalisation de la protestation. C’est ce qui s’est passé au Brésil, pour ne citer qu’un exemple, avant la coupe du Monde.
 
Enfin, même si on mesure tout ce que peut comporter de négatif l’échec de ces expériences, et surtout l’immense désillusion qu’elles peuvent provoquer dans de vastes secteurs sociaux, il faut bien admettre que la gauche post-néolibérale a trouvé, définitivement, ses limites.
 
L’alternative au capitalisme est toujours à construire en Amérique latine.
 
 José Bustos – septembre 2014
 
 
  Plus d’infos :
 
 
 
 
 
- ¿Qué es el neo-desarrollismo (link is external) ? I-II-III Una visión críticia - Claudio Katz
 
 
 
 
- Ecuador: Sigue el engaño de la minería responsable (link is external) - Carlos Zorrilla - William Sacher - Alberto Acosta
 
 
 
 
 
 
https://www.alainet.org/pt/node/102986
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