FSM 2004: Conférence Plénière du 18 janvier 2004
Guerres contre les femmes, femmes contre la guerre
21/01/2004
- Opinión
Le quatrième Forum social mondial a consacré une place importante à
la question des femmes et de la guerre. En témoigne, entre autres,
la conférence plénière du dimanche soir 18 janvier sur la guerre et
les femmes. Elle s'est déroulée sur l'esplanade, lieu de l'ouverture
du Forum, qui a pu accueillir des milliers de personnes, et elle a
été retransmise dans une grande salle.
Les intervenantes - Arundhati Roy (Inde), Nawal el Saddawi (Egypte),
Saher Saba (Afghanistan), Irène Khan (Bangladesh) - sont toutes
venues dire leur opposition à la guerre et aux conflits armés au
Proche-Orient, en Irak, en Afghanistan et en Palestine. Ces guerres
ne font qu'accroître les souffrances et les destructions, et elles
jettent des milliers de réfugiés sur les routes et dans des camps.
Les femmes, les enfants, ainsi que les populations les plus
défavorisées, en sont toujours les premières victimes.
Les intervenantes ont également dénoncé toutes les formes de
fondamentalisme qui oppriment particulièrement les femmes. Leur
message commun : " Nous devons construire une stratégie contre la
violence ".
Nawal el Saddawi, écrivaine et militante vivant en Egypte, a précisé
qu'elle parlerait en arabe, langue de millions de femmes et d'hommes
dans le monde, et également langue de son pays. Les Egyptiens et les
Indiens ont en commun d'avoir lutté hier contre le colonialisme
britannique et d'affronter aujourd'hui l'impérialisme américain,
épaulé par Israël. " Je vis dans le nord de l'Afrique, en Egypte,
considérée comme un pays pauvre. Nous sommes riches, mais volés,
pillés par le néocolonialisme. Que signifie le développement ? Si
vous tuez pour vous développer, vous n'êtes pas riches ", dit-elle,
s'adressant à l'Occident, et en concluant : " Tant que nous vivons
dans une économie génocide, nous ne sommes pas libres ".
En Irak, en Palestine, en Afghanistan, la situation des femmes est
pire qu'avant l'arrivée des troupes d'occupation, nous dit Nawal.
Aux souffrances engendrées par les blocus et par la dislocation des
structures économiques, s'ajoutent celles, criantes, inhérentes au
système économique mondial. La libération des femmes n'est donc pas
séparable de la libération des pays.
Nawal el Saddawi signale les contradictions des fondamentalistes en
évoquant, un peu à l'emporte-pièce, le cas de femmes qui portent le
voile, mais qui se maquillent, servant ainsi les intérêts des
multinationales de l'industrie des cosmétiques. Au sujet du projet
de loi sur l'interdiction du voile dans les écoles publiques
françaises, l'écrivaine égyptienne considére que " le pire des
voiles est celui qui voile l'esprit ". Elle insiste, en conclusion,
sur la nécessité de lutter contre " nos gouvernements " - qui
servent les intérêts du capitalisme patriarcal -, ainsi que contre
les fausses représentations.
Arundhati Roy, auteure du livre à succès Le Dieu des petits riens,
est une figure emblématique du refus du néolibéralisme et de
l'extrémisme religieux en Inde. C'est aussi une militante écologiste
et des droits des femmes, dans un pays où l'illettrisme frappe des
millions d'entre elles. Rappelant qu'il existait de très nombreuses
langues en Inde, elle a ajouté qu'elle s'exprimerait cependant en
anglais afin d'être comprise du plus grand nombre.
En Afghanistan, la politique impérialiste de George Bush et Tony
Blair sert, en fait, les intérêts des fondamentalistes, et les
violences faites aux femmes, au nom de traditions archaïques
continuent de plus belle. Arundhati Roy en profite pour dénoncer les
" démocraties fascistes ", au service des multinationales, qui
dépossèdent les citoyens des biens essentiels, notamment de l'eau.
Dans les villes indiennes, plus de 60% de la population vit dans la
misère la plus totale. Arundhati Roy limite volontairement la durée
de son intervention pour laisser s'exprimer une jeune femme qui a
subi des violences policières.
Saher Saba, Afghane, militante de l'association RAWA (Association
révolutionnaire des femmes en Afghanistan) parle de la situation des
femmes dans son pays. La " guerre contre les femmes " est une
expression particulièrement parlante pour les femmes afghanes. Les
huit années de guerre contre les Soviétiques, puis, à partir de
1996, le régime des talibans ont imposé aux femmes de terribles
violences et des restrictions sévères à leurs droits. Lors des
conflits intérieurs, aucune des factions ennemies ne s'est privée de
recourir aux viols, aux déplacements forcés et aux enlèvements comme
armes de guerre. " Il n'y a pas de sécurité, là où il n'y a pas de
paix et là où il n'y a pas d'éducation " affirme Saher Saba, en
rappelant que le taux d'analphabétisation des filles dépasse les
90%.
Aujourd'hui, les Afghan(e)s s'organisent pour reconstruire leur
pays. Or malgré quelques avancées démocratiques, les revendications
pour les droits des femmes n'ont pas été entendues. Contrairement à
ce qu'ils prétendaient, les Etats-Unis et l'Alliance du Nord ne s'en
sont nullement préoccupés. Pour bon nombre de femmes, la déception
est rude. Si les talibans n'occupent plus le devant de la scène
politique, leur mentalité perdure avec les seigneurs de la guerre
qui occupent les postes clés au sein du gouvernement. Or ce sont eux
qui, pendant des années, ont commis de très graves atteintes aux
droits des femmes. Malgré ce bilan accablant, les femmes afghanes ne
sont pas prêtes à accepter la situation actuelle comme une fatalité.
L'intervenante s'adresse aux présents et, à travers eux, à l'opinion
mondiale, pour qu'ils n'abandonnent pas le peuple afghan et lui
témoignent leur solidarité.
Irène Khan, secrétaire générale d'Amnesty International au
Bangladesh, s'adresse ainsi à la foule : " Vous êtes des milliers de
femmes qui avez souffert dans la nuit des violences policières ".
Elle évoque la situation dramatique qui prévaut dans les camps de
réfugié(e)s afghans à Peshawar, au Pakistan, où sont regroupées des
centaines de milliers de personnes qui ont fui leur pays dans les
années 1980, à la suite de l'invasion soviétique. Pour information,
près de 80 % des 27 millions de réfugiés recensés dans le monde sont
des femmes.
Les femmes ont tout perdu dans les guerres : leur famille et leur
avenir. Irène raconte ainsi l'histoire de Jamila, de Kaboul, adoptée
puis mariée de force. Brutalisée par son mari, elle le fut ensuite
par la police pour avoir voulu le fuir. Elle fut enfin rejetée par
sa famille et par son père pour sauvegarder l'honneur de la famille.
Dans de très nombreux pays, meurtres, rapts, violences domestiques
contre les femmes restent impunis en raisons des discriminations
légales qui s'enracinent dans des traditions archaïques que la
mondialisation libérale ne fait que conforter.
La conférence s'est terminée par le témoignage courageux d'une jeune
Indienne, emprisonnée, torturée et violée pour avoir défié les mœurs
rétrogrades de son pays.
* Régine Tassi. Attac France.
http://www.france.attac.org/a2387
https://www.alainet.org/pt/node/109219
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