Brésil : pourquoi pas une télévision des Sans Terre ?
26/11/2012
- Opinión
Silvio Mieli est journaliste et professeur de la Faculté de Communication et de Philosophie de l’Université Catholique Pontificale (PUC-Sao Paulo). Son avis rejoint les récentes manifestations pour la démocratisation de la communication au Brésil, comme celle qui a eu lieu le 15 octobre 2012 à Sao paulo en face de l’hôtel Renaissance, où se déroulait une réunion de la SIP (Inter American Press Association, groupe de patrons de médias). À cette occasion, des représentants du collectif « Intervozes » et du « Forum National pour la Démocratisation de la Communication » (BDNF) entre autres organisations, ont déroulé des banderoles dénonçant des abus commis par des chaïnes de radio et de télévision, par des journaux et des magazines.
Par ailleurs, une des conclusions de l’étude récente du chercheur Tiago Cubas, du Noyau d’Études, Recherches et Projets sur la Réforme Agraire (Nera/Unesp) intitulée « São Paulo agraire: représentations du différend territorial entre paysans et ruralistes de 1988 à 2009 », va précisément dans ce sens : les médias privés totalisent la vision des relations capitalistes en milieu rural, en propageant des stéréotypes et en refusant le sujet et les méthodes de production alternatifs.
Dans l’interview qui suit, Silvio Mieli analyse la situation actuelle de la lutte pour la démocratisation de la communication au Brésil.
Brasil de Fato - Des violences physiques sont commises par le gouvernement ou privés contre les paysans sans terre par le biais de polices et de milices armées. La couverture médiatique de ces événements est tendancieuse. Pourquoi la violence contre les pauvres est-elle naturalisée, voire même ignorée par les médias actuels ?
Silvio Mieli – En premier lieu il faut se souvenir que les médias sont ultra-conservateurs. Que les conservateurs trouvent naturel qu’un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde. Et tout aussi naturel — c’est typique des conservateurs – que soit utilisée la violence contre ceux qui veulent sortir de cette situation. Comme dit le philosophe Giorgio Agamben, les médias aime les indignés mais passifs. Les grands journaux n’ont aucun problème pour montrer les enfants affamés vivant dans une décharge publique mais réprouveront fortement toute action directe pour corriger cette injustice.
La concentration du pouvoir dans les médias est un miroir de la concentration des terres. Dans le premier cas on vole des terres publiques ou on rachète des terres volées. Dans le second cas on prend possession du spectre électromagnétique en usant d’influences politiques ou du pouvoir économique, ou des deux à la fois. C’est pour ces raisons que le système est capable de tout quand il s’agit de discuter de la propriété foncière ou de celle d’un organe d’information. Ce n’est pas un hasard si le slogan de la démocratisation des médias en 1980 a été : « Réforme agraire dans les airs ». Sur la terre comme dans les ondes hertziennes nous sommes confrontés aux mêmes problèmes : la question de la propriété, de leur usage social et quels modèles de développement doivent être mis en pratique.
BdF – Concrètement, quel genre de relations existe entre les journaux locaux (et nationaux) et l’agro-industrie pour criminaliser toujours plus les paysans pauvres ?
S.M. – Toutes les familles qui monopolisent les médias au Brésil sont (directement ou indirectement) de grands propriétaires terriens. La famille Saad (groupe Bandeirantes), qui a récemment investi dans le domaine de la presse écrite, est une famille de grands éleveurs, Octávio Frias (père) a été l’un des plus gros entrepreneurs agricoles du pays. Donc, en plus de la servilité vis-à-vis du pouvoir, ils possèdent des intérêts directs dans le secteur. Beaucoup d’hommes politiques, même ceux qui se croient très puissants, sont devenus les office-boys des grandes sociétés. En ce qui concerne les moyens de communication principaux, ils sont devenus les promoteurs des événements de ces grandes entreprises.
BdF – Après la soi-disant « démocratisation » (post-dictatoriale), quel a été le poids des médias (locaux et nationaux) dans le processus de naturalisation de la violence envers les pauvres et les paysans sans terre et comment ont-ils fait obstacle à la réforme agraire ?
S.M. – Généralement on dit que les médias ne sont pas le quatrième pouvoir mais le cinquième élément. Nous avons l’eau, la terre, le feu, l’air et… les médias. Nous vivons immergés dedans. D’où l’importance de la qualité de ce qui est produit par ce moyen. Mais dans notre cas, peut-on vraiment parler de « redémocratisation » si parmi tant de problèmes hérités de la dictature, l’accès aux médias reste aussi limité ? C’est une autre dimension de la vie nationale : nous vivons un état d’exception permanent. Le modèle de communication mis en place par la dictature, même au terme du régime militaire, est toujours debout. Il suffit d’enquêter sur le rôle des médias dans les récentes affaires importantes du secteur agricole ou environnemental et de vérifier comment ils opèrent (affaires Raposa Serra do Sol, MP 458, code forestier, Belo Monte…).
BdF – Que pourrait faire un gouvernement plus progressiste ou une société plus éclairée pour faire évoluer ces véhicules médiatiques vers une communication plus équilibrée ?
S.M. – Prenons l’exemple de la « pentecôtalisation » des médias au Brésil. L’invasion des médias par des sociétés qui s’autoproclament des églises constitue un des plus graves problèmes contemporains des médias au Brésil. Nous vivions déjà avec une série d’autres problèmes, nous avons celui-ci en plus. Qu’a fait l’État ? Il a renforcé l’espace et la puissance de ces groupes, notamment grâce à des alliances politiques-partisanes. Il a offert des réseaux de télévision à des grands groupes qui ne représentent aucune force culturelle locale, attaquent les traditions religieuses de matrice africaine et font le prosélytisme du capitalisme comme religion.Il est clair que nous devons nous battre pour le contrôle social des médias, mais je pense que le salut ne passe pas par la réforme de ce qui existe, ni par le retrait des messages de l’État.
Dans la lutte pour la démocratisation de la communication il faut utiliser la même tactique que celle du Mouvement des Travailleurs sans Terre : l’occupation du spectre non productif (que ce soit au sein des champs pédagogique, culturel ou social, ce qui se défend sur des bases constitutionnelles). Je ne parle pas d’occuper les studios de la Globo mais en plus de l’espace que le mouvement social a conquis à travers Internet, de lutter pour des médias appartenant aux mouvements sociaux. Pourquoi pas une MSTV, une télévision du Mouvement des travailleurs Sans Terre ? Le moment est venu pour les mouvements sociaux de s’adresser au peuple directement, sans passer par des intermédiaires et pas seulement sur internet, mais aussi au moyen d’ondes électromagnétiques, ou de ce qu’il en reste.
25 octobre 2012.
- Eduardo Sales de Lima, du journal « Brasil de Fato ».
Source : http://www.mst.org.br/node/14033
Traduction du portugais : Thierry Deronne
URL de cet article : http://mouvementsansterre.wordpress.com/2012/11/25/bresil-pourquoi-pas-une-television-des-sans-terre/
Pour soutenir concrètement le MST, on peut écrire à Lucas Tinti, prointer@mst.org.br
Pour soutenir concrètement le MST, on peut écrire à Lucas Tinti, prointer@mst.org.br
https://www.alainet.org/es/node/162893
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