La Commission européenne et le FMI sont-ils aveugles et schizophréniques ?
18/05/2014
- Opinión
De l’aveuglement…
Depuis plus de 30 ans, le Fonds monétaire international (FMI) impose des politiques d’ajustement structurel (coupes drastiques dans les dépenses sociales, privatisations, « flexibilisation » du marché du travail, etc.) à la grande majorité des pays dits en développement (PED). L’objectif principal affiché est d’assainir les finances publiques afin de repartir sur de « bonnes bases ». Les résultats ont été dramatiques. La pauvreté, l’exclusion sociale et les inégalités ont explosé, tandis que le problème de la dette s’est aggravé. La dette des PED a été multipliée par quatre entre 1982 et 2012 et le service de la dette, siphonnant parfois jusqu’à 50% des recettes budgétaires, a empêché la plupart des PED de réaliser des investissements socialement utiles et écologiquement responsables.
Lorsqu’on regarde le contenu des politiques d’austérité prônées par la Commission européenne et le FMI et appliquées de manière plus ou moins intense en Europe depuis 2008, celles-ci ressemblent à s’y méprendre aux plans d’ajustement structurels qui ont ravagé les pays du Sud. Assez logiquement, les résultats sont identiques : ralentissement économique, augmentation du chômage, explosion des inégalités, et aggravation des déficits et de la dette.
En réalité, il n’existe aucun exemple qui montre qu’une telle politique peut donner des résultats positifs. A ce stade, on peut clairement parler d’aveuglement de la part des élites politiques, ce qui constitue déjà un sérieux problème. Albert Einstein ne disait-il pas que la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ?
… à la schizophrénie
Mais il semblerait que la cécité n’est pas la seule maladie dont souffrent nos dirigeants politiques. En effet, depuis plus d’un an, on assiste à une multiplication de rapports de la Commission européenne et du FMI où ceux-ci reconnaissent que les politiques qu’ils prônent constituent une grave erreur.
Janvier 2013. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, dévoile que le FMI a très largement sous-estimé l'impact négatif de l'austérité sur la croissance économique. L’erreur dans les calculs est tout sauf anecdotique, puisqu’elle est estimée à environ 300% ![1]
Mars 2013. La Commission européenne publie un rapport dans lequel elle admet que l'austérité n’a pas donné les effets escomptés et a aggravé la crise sociale. « Les effets négatifs des restrictions budgétaires sur l'emploi et le niveau de vie sont de plus en plus visibles dans certains États membres »[2].
Avril 2013. Deux étudiants démolissent une étude utilisée comme référence par la Commission européenne (notamment par Olli Rehn, Commissaire européen aux Affaires économiques) pour « encourager » les États de l’UE à renforcer leurs mesures d’austérité. Cette étude, réalisée par Carmen Reinhart et Kennet Rogoff, ancien économiste en chef du FMI, affirmait qu’une dette publique supérieure à 90% du PIB entraînait automatiquement un ralentissement de la croissance économique[3]. Ces éminents économistes ayant oublié d’inclure dans leurs calculs certaines données essentielles et certains pays, cette affirmation s’est révélée au final totalement fausse. Mme Reinhart et M. Rogoff reconnaissent leurs erreurs, mais maintiennent que leur constat reste valable…[4]
Avril 2013. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, déclare au cours d’une conférence de presse : « tout en pensant que cette politique (d’austérité) est fondamentalement juste, je pense qu'elle a atteint ses limites. »[5]
Octobre 2013. Jan In’t Veld, économiste en chef de la Commission européenne, isole et mesure les effets de l’austérité sur la croissance dans les pays de la zone euro. « Selon ses calculs, l’austérité budgétaire aurait fait perdre, en cumulé, 4,78 % de croissance du produit intérieur brut (PIB) à la France de 2011 à 2013. »[6]
Octobre 2013. Des documents internes montrent que le FMI savait parfaitement que la Grèce allait sombrer malgré le plan de sauvetage de 2010. Le directeur exécutif brésilien Paulo Nogueira Batista dira : « Les risques du programme sont immenses (…) En d’autres termes, ce programme peut être considéré non pas comme une opération de sauvetage de la Grèce, qui devra subir un ajustement déchirant, mais comme un plan de sauvetage des créanciers privés de la Grèce, principalement des établissements financiers européens. »[7]
Février 2014. Des experts du FMI confirment qu'il n'existe pas de seuil critique de la dette publique. « Nous n'avons trouvé aucune preuve d'un seuil particulier d'endettement au-dessus duquel les perspectives de croissance à moyen terme seraient significativement compromises».
Mars 2014. Après avoir admis qu’ils avaient sous-estimé l'impact de l'austérité sur la croissance, le FMI reconnaît que l'austérité contribue à creuser les inégalités sociales.[8]
Ce n’est ni le bon sens ni l’intérêt général qui dirigent ce monde
Aussi incroyable que cela puisse paraître, malgré tous ces mea culpa et révélations, les dirigeants européens persistent et signent. Aucun changement d’orientation n’est en vue. L’austérité doit se maintenir, voire se renforcer, y compris si celle-ci viole le droit primaire de l’Union européenne (TFUE), notamment ses articles 8 et 9, qui disposent que « Pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes » et que ces actions doivent viser à « la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale. »
Quelles conclusions faut-il en tirer ? Les peuples européens sont-ils dirigés par des institutions de bonne foi, mais totalement aveugles et schizophréniques ? Ou bien faut-il admettre que ce n’est ni le bon sens, ni l’intérêt général qui dirigent ce monde, et qu’aujourd’hui, le FMI et la Commission européenne n’ont pas l’objectif d’assainir les finances publiques mais bien d’accélérer le démantèlement des acquis sociaux et de servir les intérêts des puissances économiques et financières, dont l’appétit semble sans limite ?
Olivier Bonfond, économiste, conseiller au CEPAG, membre du CADTM et auteur du Livre « Et si on arrêtait de payer ? 10 questions /réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité », Aden, juin 2012
[1] Hubert Huertas, « Extraordinaire : l'austérité est une erreur mathématique ! », France culture, 9 janvier 2013
[2] AFP, « La Commission l'admet: l'austérité a aggravé la crise sociale », RTBF, 26 mars 2013
[3] « Ce doctorant qui a fait trembler les défenseurs de l’austérité », Le Soir, 22 avril 2013
[4] Marie Charrel, « Le FMI admet qu'il n'existe pas de seuil critique de la dette publique », Le Monde, 18 février 2014
[6] Sébastien Crépel, « La Commission européenne confesse son échec », L’Humanité, 20 novembre, 2013
[7] Audrey Duperron, « Le mea culpa du FMI à propos du sauvetage grec », L’Express, 6 juin 2013
[8] « L’austérité creuse les inégalités sociales, selon des experts du FMI », Le Soir, 13 mars 2014
https://www.alainet.org/es/node/85632
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