Déclaration de La Via Campesina
Le Cycle de Doha est mort ! L'heure de la souveraineté alimentaire a sonné
27/07/2006
- Opinión
L'échec de l'OMC annoncé à Genève par Pascal Lamy est une victoire pour
Via campesina qui s'est toujours opposée à la libéralisation des échanges
des produits agricoles. Le cycle de négociations de Doha est mort ! Vive
la souveraineté alimentaire !
Les accords de Marrakech, signés en 1994, ont marqué une aggravation de la
crise économique qui prévalait dans les zones rurales. La libéralisation
des marchés des produits agricoles, l'ouverture forcée des frontières et
la baisse des droits de douane ont placé les paysans dans un système
global de concurrence illimitée dont les seuls bénéficiaires sont les
multinationales de l'agroalimentaire et leurs actionnaires. La chute des
prix de la plupart des produits agricoles a entraîné la ruine de millions
de petits paysans. Cette crise s'est soldée par l'explosion de l'exode
rural et l'augmentation exponentielle des flux migratoires. Ce
développement d'une agriculture recherchant le profit à court terme a
entraîné l'augmentation de la déforestation, la concentration du foncier,
l'érosion des sols, la destruction de la biodiversité et la pollution des
eaux. Elle a été rendue possible par l'augmentation de la répression dont
ont été l'objet les mouvements sociaux dans de nombreux pays.
Les pêcheurs traditionnels ont été également confrontés à une destruction
des ressources halieutiques et maritimes sans précédent. Dans de
nombreuses zones de la planète, la pêche industrielle a fait des dégâts
considérables, laissant les filets des pêcheurs désespérément vides.
Le libéralisme, contrairement à ce qui avait été promis, n'a pas été en
mesure de garantir le droit à l'Alimentation pourtant inscrit dans le
Pacte relatif aux Droits Economiques Sociaux et Culturels des Nations
Unies. D'ailleurs l'OMC, n'a jamais considéré que s'attaquer à la famine
faisait partie de ses objectifs. Aujourd'hui, plus de 850 millions de
personnes souffrent toujours chroniquement de la faim à des degrés divers,
et les trois-quarts d'entre elles sont des paysans, des paysans sans terre
et des ouvriers agricoles. L'objectif, insuffisamment ambitieux, de
réduire ce nombre de moitié, que la FAO s'était fixé en 1996, ne sera
malheureusement pas atteint en 2015. Nous ne pouvons accepter cette
situation, car il ne s'agit pas de chiffres qui souffrent, mais bel et
bien d'enfants, de femmes et d'hommes qui meurent chaque jour dans un
monde ou la production alimentaire est pourtant suffisante pour couvrir
les besoins de tous.
La libéralisation des marchés des produits agricoles a fragilisé
durablement l'économie de nombreuses familles paysannes et de nombreux
pays. L'Afrique, présentée comme la zone qui devait le plus bénéficier des
accords de Marrakech, a été laissée sur la touche. Les pays de la zone
sahélienne, contraints par la Banque Mondiale de développer les cultures
de coton pour rembourser une dette extérieure inique, ont vu leurs
recettes d'exportation s'effondrer du fait du maintien des subventions de
pays riches comme les USA. La mise en culture de millions d'hectares de
soja en Amérique du sud s'est faite aux dépends des paysans et de
l'agriculture vivrière locale. L'Argentine, qui comptait 17 % de personnes
en dessous du seuil de pauvreté en 1994, a vu ce chiffre exploser.
Aujourd'hui 40 % des habitants de ce pays souffrent de la faim. Les
agricultures vivrières des pays d'Afrique de l'ouest ont été balayées par
les importations. Le Sénégal importe désormais 500.000 tonnes de brisures
de riz. Des pays comme les Philippines, qui étaient autosuffisants en
1994, doivent maintenant importer un million de tonnes de céréales. Pour
sa part, l`Indonésie a vu une multiplication par trois de la valeur de ses
importations de céréales entre 1994 et 2004. Ces dernières sont en effet
passées de 60 à 180 millions de dollars. Des centaines de milliers de
paysans en Inde et en Chine sont sur les routes à la recherche d'un
hypothétique emploi. Les amendements faits par l'Union européenne et les
Etats-unis à leurs politiques agricoles n'avaient pour seul objet que de
tromper le monde. Ils n'ont pas permis de limiter les exportations
bénéficiant de subventions, ni de redistribuer plus équitablement les
revenus agricoles.
Sous la coupe de l'OMC, ce sont l'ensemble des activités humaines qui
étaient réduites à des marchandises. L'approvisionnement en eau, la santé,
l'éducation, pour ne citer que les principales d'entre elles, étaient
bradées à des multinationales. Ces privatisations ont eu un impact
terrible sur les couches les plus défavorisées de la population. Le
cynisme de leur mise en oeuvre a provoqué des conflits très durs, comme
par exemple sur l'eau en Bolivie, qui ont permis l'émergence de
gouvernements porteurs d'une véritable alternative.
C'est en définitive cette arrogance et ce mépris de la part des puissances
économiques du nord, prêtes à co-opter un petit groupe d'élites
dirigeantes de pays émergeants, qui a grippé le mécanisme de l'OMC.
Depuis 1995, Via campesina lutte et dénonce ces accords de libre-échange.
De Seattle à Doha, en passant par Cancun puis Hong-Kong, Via campesina a
manifesté dans les rues pour s'opposer à l'OMC. Selon Pascal Lamy,
l'organisation qu'il dirige est dans un état d'hibernation. Nous espérons
qu'il s'agit en fait d'un coma profond qui débouchera sur une mort rapide.
Le libéralisme économique est comme une pieuvre, l'OMC étant la tête et
les Accords de libre échange les nombreux tentacules qui continuent
d'asservir les peuples. Via campesina va bien entendu poursuivre et
amplifier la lutte contre le libéralisme en mettant tout son poids contre
les dizaines d'accord de libre-échange qui sont entrain d'être élaborés au
quatre coins de la planète. Via campesina prendra sa place parmi les
organisations de la société civile pour continuer la bataille contre la
libéralisation des échanges.
Parallèlement à sa stratégie de lutte, Via campesina a développé, avec de
nombreux partenaires, une proposition alternative, la souveraineté
alimentaire, pour sortir de la crise. La souveraineté alimentaire propose
une gestion internationale des marchés agricoles basée sur la concertation
et la responsabilité pour garantir un prix juste aux producteurs comme aux
consommateurs. Le droit à la souveraineté alimentaire repose sur le
renforcement de l'agriculture familiale et sur un accès juste aux moyens
de production que sont la terre, l'eau, les semences, la formation et le
crédit. Elle suppose le développement de l'agriculture vivrière et la mise
en place de circuits courts de commercialisation.
La faillite de l'OMC ouvre de nouvelles perspectives pour les mouvements
sociaux. Avec ses partenaires, Via campesina organisera au Mali, au mois
de février 2007, le Forum Mondial pour la Souveraineté Alimentaire. Cette
rencontre ambitieuse aura pour objectif d'une part, de préciser certains
aspects de la souveraineté alimentaire, et d'autre part de réfléchir à un
plan d'action global qui permettra de faire avancer ce nouveau droit des
peuples tant au niveau des gouvernements que des instances de gouvernance
internationale.
La Via Campesina
Genève, le 28 juillet 2006
www.viacampesina.org
https://www.alainet.org/fr/articulo/116327?language=en
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