Les classes dominantes se renforcent avec le président Michel Martelly

02/10/2011
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Haïti, après des mois de troubles, a pu se doter d’un président de la République élu par une majorité, mais issue d’une minorité de moins d’un quart de la population en âge de voter. Les vainqueurs au Sénat et à la chambre des députés n’ont guère bénéficié d’une meilleure légitimité populaire. En outre, la chambre basse est toujours écornée par l’assassinat récent d’un de ses membres et la non-validation de l’élection de quatre d’entre eux. Cette nouvelle donne politique n’est nullement une garantie pour sortir le pays d’une turbulence qui semble devenir permanente.
 
Suivant le prescrit de la Constitution de 1987, le président de la République, Michel Martelly, du fait qu’il ne dispose d’aucune majorité au sein du parlement, doit compter avec un nombre significatif des mandataires du peuple pour donner au pays un gouvernement définitif. La situation s’annonce difficile pour le président qui a été élu surtout par un courant de la jeunesse au prix de slogans mirobolants. C’était sous la bannière de « Repons Peyizan », un parti politique invertébré et inconnu du grand public dont il n’était même pas membre. Les liens entre M. Martelly et cet appareil politique n’ont pas survécu à la victoire de celui-là. Les parlementaires ne jouissent pas, non plus, d’une situation différente de celle du chef de l’État quant à leur filiation politique, car la plupart d’entre eux sont aussi issus de partis du même calibre sans en être des membres assidus et porteurs d’une idéologie définie.Voilà en gros, avec une absence de plan programmatique, le cadre organisationnel dans lequel se meut le pays depuis les élections d’avril dernier. A quoi doit-on s’attendre pour ces cinq années avec cet artiste à la magistrature suprême de l’État ?
 
Les quatre premiers mois de ce nouveau régime n’ont pas secoué l’ordre des choses établies depuis plus de deux cents ans. Ainsi, le chef de l’État et son état-major veulent- ils faire accroire que c’est l’absence d’un premier ministre qui paralyse l’application de ses promesses de campagne. Cette illusion a fait recette auprès de plus d’un au sein de la population. C’était comme si les principes de la continuité de l’État à travers le gouvernement appelé à gérer les affaires courantes ne valaient plus. D’autant que les nuances du nouveau pouvoir à l’intérieur du système dominant n’y engagent pas de modification profonde. Notre histoire nous a prouvé que jusqu’à maintenant les nouvelles têtes arrivées avec chaque nouveau régime de fait ou de droit ne sont pas parvenues à améliorer la condition de vie des masses populaires
 
Cette situation de clair obscur avec des ministres versés à liquider les affaires courantes protègent le président jusqu’à présent aux yeux de ses partisans. Cependant, le choix successif de ces trois premiers chefs de gouvernement indique bien la tendance conservatrice du pouvoir, quoiqu’encore au stade de transition. Le retard dans l’installation d’un premier ministre profite à court terme au clan présidentiel prétextant la mauvaise foi des législateurs qui refuseraient pour des raisons politiques les deux premières personnalités choisies. Malheureusement, cette mauvaise foi s’est exprimée pour de bon par l’ensemble des députés présents à l’audience du vendredi 16 septembre dernier d’une façon amorale en se substituant à la Constitution pour accepter sans coup férir le choix de M. Garry Conille comme premier- ministre. Entre temps, la situation sociale et économique empire au niveau national. Les premières victimes sont les petites bourses qui ont de plus en plus de difficulté à joindre les deux bouts. Et la droite politique se renforce avec le recyclage du duvaliérisme vétuste, constamment rejeté par la plus grande partie de la population. Tout semble indiquer que le système alternatif annoncé par le président Michel Martelly est le retour politique et idéologique du duvaliérisme, édulcoré par un certain courant lavalassien sous le protectorat sans fard de l’impérialisme américain.
 
À moyen terme, la population pourra sortir de son silence complice du premier moment, pour revendiquer une vie meilleure, celle sur laquelle elle comptait en prenant le chemin des urnes. Les mobilisations contre la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) et l’occupation étrangère augurent d’un avenir de fortes tensions à travers tout le territoire national. Ces masses de plus en plus abandonnées à leur triste sort ne resteront pas définitivement dupes des politiciens traditionnels et rétrogrades. Elles finiront par comprendre leur jeu, le jeu de ces politiciens qui abusent de leur patience avec des promesses fallacieuses, qui libèrent le grand commerce de tout contrôle de prix et qui affranchissent les grands patrons de tout respect du Code du travail en vigueur. Les dirigeants du régime précédent dans leur complicité avec la fraction hégémonique économique et financière avaient refusé une hausse du salaire minimum proposée et appuyée par les camarades de Batay Ouvriye et d’autres branches militantes du mouvement populaire et syndical. Cette hausse déjà en soi frisait le misérabilisme. Les nouveaux maîtres du destin national n’ont, jusqu’à date, jamais effleuré ce dossier. Ce serait déjà un premier pas de demander au patronat concerné l’observation de ce salaire à peine ajusté qui s’effrite constamment avec l’inflation galopante. Nous nous rappelons dans quelles conditions les législateurs ont voté ce salaire.
 
Rien n’indique une amélioration rapide de la situation des plus vénérables de la société. Le chômage bat son plein. Avec la dégradation de l’environnement, les récoltes des paysans sont réduites à une peau de chagrin ce qui les contraint à élever leurs enfants à la dure. La migration vers les villes intérieures dépeuple le milieu rural tandis que l’émigration qui s’organise dans des conditions déplorables inventorie déjà des morts soit sur de frêles esquifs vers les côtes des Bahamas, ou de la Floride, soit sur la route des bateys ou l’industrie du sucre en République dominicaine. Conjointement à la consolidation de la misère de la majorité et à l’enrichissement rapide d’une minorité et même éhonté d’une clique, l’occupation du pays devient plus nette.
 
L’occupation démasquée
 
La présence des forces étrangères sur notre sol national n’est pas unanimement appréciée de la même façon. D’aucuns, surtout pour cacher leurs intérêts mesquins et immédiats, se montraient sceptiques de la nouvelle occupation du pays. D’autres poussaient leur égoïsme encore plus loin en niant même ce fait. En réalité, la MINUSTAH n’est que la pointe visible du piétinement de la souveraineté nationale. Plusieurs évènements sont venus aujourd’hui corroborer cette évidence.
 
En effet, toutes les forces militaires expéditionnaires qui occupent un pays ne sont pas seulement des représentantes physiques de leur nation d’origine. Elles sont toujours porteuses d’une idéologie, d’une idéologie réactionnaire, empreinte de mépris pour le pays occupé. Le mauvais comportement des troupes américaines en 1915 a soulevé l’indignation des patriotes haïtiens, dont Charlemagne Péralte et Benoît Batraville symbolisent les cas les plus emblématiques. A leur départ en 1934, les yankees ont emporté avec eux tout leur matériel de guerre, mais jusqu’à présent, leur présence est solidement inscrite dans le cerveau de la plupart des membres de nos classes dominantes. La MINUSTAH, malgré que nous soyons dans un temps plus moderne, n’a pas dérogé à cette règle cardinale qui caractérise toute force d’occupation. Aujourd’hui, les horreurs causées par cette dernière sautent aux yeux de toutes et de tous. La MINUSTAH n’est pas seulement responsable de l’introduction du choléra dans le pays. On a déjà dénombré depuis son débarquement en juin 2004, une quantité inquiétante de crimes qu’elle a commis, entre autres, sur des jeunes des deux sexes. Leurs dossiers fourmillent de plusieurs actes d’assassinats restés impunis, dont celui du jeune Gérald Jean-Gilles pendu au Cap-Haïtien au cours du mois d’août 2010 par des soldats népalais pour une fausse accusation de vol de moins d’une centaine de dollars américains. Les croisés contre l’impunité qui se régalent del’impunité ! Les images du viol par des soldats uruguayens d’un jeune haïtien qui ont fait le tour du monde sur Internet, n’ont pas laissé cette fois-ci indifférentes les autorités sud- américaines. Au moins dans l’optique de protéger la renommée de leur armée et aussi de redorer plus ou moins celle de l’ONU assez affectée en Haïti, elles ont pris des mesures disciplinaires contre les soldats fautifs. De toute façon, Haïti n’est pas en guerre, pourquoi aurait-elle besoin de forces militaires pour garantir sa sécurité ? Répondons bien vite que l’occupation n’est pas seulement militaire.
 
L’occupation est aussi bien idéologique…
 
L’on se tromperait grandement si on focalisait toute son attention sur le dernier acte délictueux perpétré par des soldats uruguayens à Port-salut, une petite communauté du Sud du pays ou sur l’introduction du choléra dans le pays. Tous ces faits honteux participent de la nature de l’occupation. Que de cas odieux connus ou inconnus du grand public perpétrés par l’ensemble de l’Appareil colonial ! L’occupation s’avère plus profonde puisqu’elle relève de l’opinion cuisinée et partagée par les classes dominantes du pays occupant et de celles du pays occupé. Les soldats qui nous sont envoyés sont membres d’une armée au service de leur bourgeoisie et par conséquent antipopulaire. Malheureusement, ces soldats sont les filles et fils du peuple, utilisés par les tenants de la grande propriété privée, comme nous le vivions avec les Forces Armées d’Haïti héritées des Américains en 1916 et avec l’actuelle Police nationale, pour écraser leurs propres parents et leurs propres amis. Cette situation ne changera que lorsque seulement ces gendarmes mal guidés et pourtant dotés de grand courage, que des mauvaises situations économiques ont jetés dans les bras de leurs ennemis, auront gagné leur conscience de classe.
 
…que politique
 
En fait, c’est ladite communauté internationale qui dirige le pays par l’entremise de dirigeants haïtiens soumis. Le président da la République, qui lors de sa campagne électorale avait critiqué la performance étriquée de la Commission intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), plaide aujourd’hui pour le renouvellement de son mandat. L’ancien président Clinton, le co-président de la CIRH, a été médaillé par celui, en l’occurrence le président Martelly, qui dénonçait l’inefficacité de cet organe anticonstitutionnel monté de toute pièce pour engloutir la souveraineté nationale. Le choix du premier ministre, Garry Conille, un inconnu de la scène politique nationale, est une nouvelle démonstration de la liquidation des droits régaliens nationaux. C’est quelqu’un qui ne répond pas au prescrit de la Constitution qui est appelé à occuper un tel poste de chef de gouvernement. Pourtant, sa connivence avec l’ancien président Clinton se veut le principal critère de son acceptation par la Chambre des députés qui l’a acclamé sans aucune réserve par 89 voix sur 89. Bien entendu, après l’acceptation d’une convocation à l’ambassade américaine, on ne s’attendait pas à mieux de leur part. À moins d’un grand changement dans l’actuelle mouvance politique, M. Conille passera le cap du Sénat cependant avec quelques égratignures, faites d’abstentions et de votes négatifs de quelques sénateurs plus respectueux de leurs mandants. Il importe de souligner et de questionner dans la logique de l’interaction des choses politiques, la résolution prise par le grand Corps le mardi 20 septembre dernier en proposant au président de la République d’adhérer à la décision de Mahmoud Abbas d’inclure la Palestine comme État indépendant au cours de cette soixante-sixième assemblée de l’ONU. Est-ce pour noyer leur abdication envers les Etats-Unis d’Amérique qui protègent sur tous les fronts l’État d’Israël ? Peut- on parler dans ce cas d’un baroud d’honneur ?
 
La lutte contre la MINUSTAH a atteint un certain élan au niveau national et chez les Haïtiennes et les Haïtiens vivants à l’étranger. L’indignation quasi générale est suivie d’une grande vague de soulèvements, soutenus par plusieurs courants du mouvement populaire national et de celui des pays comme le Brésil, patrie d’origine d’un important contingent de ces soldats. Que la MINUSTAH s’en aille tout simplement ou qu’elle s’en aille d’après un calendrier préparé et progressif, voilà les deux mots d’ordre véhiculés par une large portion de la population. Cependant, si l’on ne voit que la partie visible de l’iceberg sans toucher aux causes systémiques qui ont conduit à toutes ces occupations consécutives du sol national, l’on connaîtra bientôt la même situation avec des déceptions plus amères dans un futur proche. La bataille contre l’occupation sera incomplète si elle est seulement portée contre la MINUSTAH. Même en l’absence des bottes onusiennes, les puissances envahissantes continueront comme elles ont l’habitude de le faire depuis l’année 1934, à subjuguer la nation haïtienne et à provoquer les mêmes dégâts politiques et idéologiques au détriment de cette dernière. Il faut sans désemparer intensifier la lutte dans une vision tactique contre la MINUSTAH et mener parallèlement la lutte stratégique contre le capitalisme en sa phase néolibérale, responsable dans une large mesure de notre état peu enviable. L’exclusion de la MINUSTAH est nécessaire comme étant une victoire contre l’impérialisme mais elle ne signifiera nullement le retour spontané à la souveraineté nationale. Celle-ci n’est souillée que parce que les intérêts des classes dominantes ont prévalu sur ceux de la nation. Seule la victoire générale du peuple peut renverser la vapeur. Pour ce faire, il est devenu impératif de construire le Camp du peuple. Ann Konstwi Kan Pèp La !
 
- Marc-Arthur Fils-Aimé est Directeur de l’Institut Culturel Karl Levêque (ICKL)
 
Source: AlterPresse
 
https://www.alainet.org/es/node/153038
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