Le peuple, comme la Constitution, sera-t-il une fois de plus mis à l’index ?
28/05/2012
- Opinión
D’après le président Martelly et ses plus proches collaborateurs, Laurent Salvador Lamothe est le personnage qu’il faut pour la mise en branle de la nouvelle orientation tant attendue. Entre temps, le grand public n’a pas encore perçu les signes du vrai départ alors que le pays s’enfonce dans un inquiétant conservatisme.
Un nouveau gouvernement vient de remplacer celui du premier ministre Gary Conille qui n’aura duré que seulement quatre mois. C’est un gouvernement qui n’a existé que de nom. Le président de la république Joseph Michel Martelly qui, sur injonction de la communauté internationale, avait accepté de solliciter auprès des deux Chambres législatives la ratification de ce nouveau venu dans la politique haïtienne, ne lui avait concédé, à l’exception du titre, aucun pouvoir. Il lui était impossible de convoquer un conseil de gouvernement puisque les ministres n’y répondaient pas ou méprisaient sans ambages son autorité. Son dernier essai de les réunir afin de donner une certaine ressemblance d’unité au sein de son gouvernement, durant la maladie du chef de l’État, a aussi piteusement échoué. L’appartenance duvaliériste de ces deux principaux membres de l’Exécutif, n’est jamais arrivée, malgré tout, à provoquer une mutuelle tolérance.
Garry Conille a dû démissionner de son poste au cours du mois de février dernier pour le céder à Laurent Lamothe, un proche ami du Chef de l’État. La proximité personnelle entre les deux têtes de l’Exécutif suffira-t-elle pour tisser une franche collaboration entre elles ?
C’est de lapalissade d’écrire que la collaboration entre le président de la République et son premier ministre s’avère importante pour initier le changement qu’il clamait lors de sa campagne électorale. Et, il continue de le clamer un an après son accession à la plus haute magistrature de l’État haïtien. D’après le président Martelly et ses plus proches collaborateurs, Laurent Salvador Lamothe est le personnage qu’il faut pour la mise en branle de la nouvelle orientation tant attendue. Entre temps, le grand public n’a pas encore perçu les signes du vrai départ alors que le pays s’enfonce dans un inquiétant conservatisme.
Qu’est-ce que la nation peut attendre de Lamothe qui, lui non plus, ne s’est jamais occupé de politique active ?
Le nouveau premier ministre, à la fin du mois d’avril et au début du mois de mai 2012, a lu, séparément devant les deux chambres, sa déclaration de politique générale.
Cela s’est passé dans une ambiance asphyxiante qui a dévoilé une fois de plus le niveau de conscience de la grande majorité de ces représentants du peuple haïtien. Malgré un curriculum qui n’a pas répondu (excepté son âge, comme le dit la malice populaire), au prescrit de la Constitution, cet homme d’affaires a été ratifié, disons mieux acclamé au Sénat et à la Chambre des députés.
Les opposants à la ratification de Laurent Lamothe ont prouvé que ce dernier n’a pas résidé en Haïti, qu’il n’y a jamais investi même une partie de son capital, malgré sa fortune considérable, et qu’il ne s’est pas acquitté de ses impôts même comme étant ministre des affaires étrangères pendant presqu’un an. Il n’a obtempéré finalement à cette obligation citoyenne, en payant cinq années d’impôts d’un seul coup, qu’après seulement sa désignation comme le nouveau chef de gouvernement.
Il n’était même pas capable de voter pour son ami Martelly lors des dernières élections, car ce n’est que très récemment qu’il s’est fait délivrer sa carte électorale.
En un mot, ces opposants ont voulu ainsi prouver que le récipiendaire ne s’était pas trop intéressé, ni trop attaché à la vie quotidienne de son pays natal. Ces arguments solides parmi tant d’autres apportés à l’appui par une minorité de sénateurs et de députés ont été simplement ignorés par leurs collègues.
Est- ce que le peuple comme la Constitution sera une fois de plus mis à l’index ?
Nous avons entendu la déclaration de la politique générale du nouveau premier ministre. Elle ne diffère en rien des autres déclarations présentées par ses prédécesseurs à la primature ? De la logomachie, prédisent plus d’uns.
En effet, Lamothe n’a rien apporté de nouveau dans son adresse qui ne vaut pas plus qu’un simple geste administratif, devenu depuis l’adoption de la Constitution de 1987, coutumier. Ce sont toujours les mêmes promesses présentées dans des phrases différentes.
Une première considération mérite d’être produite.
A ses yeux, comme à ceux des parlementaires qui ont accrédité ses paroles, le démarrage du pays pourrait résulter d’une addition de projets collés les uns aux autres, en dehors d’un cadre macro et cohérent. Chaque député et chaque sénateur de cette tendance pourraient en réclamer un ou deux pour sa commune ou son département.
D’ailleurs, le gouvernement ne dispose pas de moyens propres pour faire avancer ces projets et ceux que lui-même aimerait développer. La grande responsabilité tombe sur ladite communauté internationale qui ne finance que, quand elle le désire, les ouvrages qui conviennent à sa vision immédiate et surtout ceux concernant sa vision à long terme.
Toutes les démarches, que cette communauté a entreprises, nous montrent qu’elle ne s’intéresse qu’à maintenir le pays indéfiniment sous sa coupe. A son grand avantage, elle puise allègrement le nombre de ses collaboratrices et de ses collaborateurs dans le bassin fécond de la droite et de l’extrême-droite haïtiennes.
La déclaration de politique générale de Lamothe est essentiellement imbriquée dans la ligne politique et idéologique du pouvoir.
C’est une politique d’abandon du pays à la merci des dons et des investissements étrangers, même au détriment de ce dernier.
L’exemple de la zone franche installée à Caracol (Nord-Est), qui présage une véritable catastrophe écologique - non seulement pour toute l’Île d’Haïti, mais pour tout l’univers, vu l’importance de la réserve de la baie du même nom en mangrove -, demeure emblématique. Beaucoup de voix se sont soulevées pour dénoncer l’éventuelle pollution des rivières et d’éventuels autres épiphénomènes sociaux conséquemment à ce thanato-projet.
Beaucoup d’études ont montré que cette politique de livrer le décollage national aux zones franches et aux usines d’assemblage ressemble à des leurres.
Le nouveau premier ministre ne s’en soucie guère. Sa déclaration de politique générale s’est inspirée de la volonté de la classe politique traditionnelle, qui ne cesse d’affirmer, de façon la plus éhontée, surtout depuis la première occupation américaine de 1915, son cinglant antinationalisme au profit de son avantage égocentrique, exclusif.
On comprendra alors pourquoi le nouveau premier ministre n’a annoncé aucune mesure qui attaquerait les problèmes pérennes qui coincent les masses populaires dans les limites du sous-humain, depuis notre existence de peuple libre. Ses prêches soporifiques sur la production nationale ont été évoquées pour faire semblant de tenir compte de nos pressants besoins.
On ne s’attendait, certes, à aucune décision de rupture avec l’oligarchie. Une telle opération qui tiendrait compte des paysannes et des paysans appauvris qui, pendant plus de deux siècles, ont lutté pour une redistribution équitable des sols fertiles à celles et à ceux qui les travaillent, ne peut être que l’œuvre d’un mouvement révolutionnaire.
Il en est de même pour la classe ouvrière qui aimerait sortir des étaux de l’assemblage qui suce son sang au profit d’un sous-entrepreneuriat local, accoquiné à une bourgeoisie internationale.
Cependant, il devient de plus en plus urgent de s’attaquer à certaines tâches qui auront au moins la force de bloquer la dégringolade du pays.
Aucune disposition réelle n’a été évoquée en ce sens, alors qu’elle se trouve à la portée même de tout gouvernement réformiste. Comme ses prédécesseurs, le nouveau premier ministre n’a pas prévu d’oser atteindre cette phase minimum.
Le cours des événements politiques nous indique que l’essor national ne saurait dépendre de ces courants politiques et idéologiques qui trafiquent les intérêts collectifs, quitte à se plier aux puissances de toutes dimensions qui happent toutes nos richesses. Ces puissances qui ont conservé ces dernières sous le boisseau et déclarent leur existence quand le besoin se fait sentir.
C’est cette aventure que courent nos ressources d’or, d’argent et de cuivre, estimées à plus de 20 milliards, qui viennent d’être dévoilées au cours de ce mois de mai 2012 par l’Associated Press (AP). Le Consortium New Mont Eurasien, la Société minière du Nord-est (Somine S.A) et la VCS Mining lorgnent ardemment ces biens, dont le peuple est le seul propriétaire légitime.
Avec ce système politique, insensible au sort des gens qu’il a lui-même appauvris à cause de son insatiable appétit, nous n’attendons pas, de ces trésors souterrains, beaucoup de bénéfice pour le pays. Il est fort probable que leur situation empire, comme cela a eu lieu en Afrique, notamment au Congo, ou tout près de chez nous en Amérique, notamment en Bolivie avant l’avènement de Evo Morales.
Une nouvelle propagande
Le peuple haïtien est soumis, depuis quelque temps, à une nouvelle propagande qui ne contribue qu’à le fourvoyer davantage.
On lui fait accroire que l’amélioration de son sort dépend de la nomination d’un premier ministre, comme s’Il n’y en avait pas eu depuis que la Constitution de 1987 nous a gratifiés de cette nouveauté.
On lui fait accroire que le président est animé de bonne foi et de bonne volonté, comme si la bonne foi et la bonne volonté étaient en elles-mêmes des critères suffisants pour refonder la nation.
On lui fait accroire aussi que le règne des intellectuels a expiré, comme si tous les intellectuels formaient, en un bloc homogène, une classe sociale : la classe des intellectuels.
Ces leurres, malheureusement, ont eu leur effet sur certaines couches de la population qui réclamaient, à hue et à dia, l’arrivée d’un premier ministre à côté du président Martelly pour diriger le gouvernement.
A chaque déception, dont la prochaine s’annonce déjà, c’est le courant progressiste et révolutionnaire qui en paie les frais.
Les concepts de progrès, d’organisations populaires et de révolution sont tellement galvaudés, que les masses populaires s’embourbent dans la confusion et deviennent plus sceptiques envers les groupes et les partis - nonobstant leur force réelle pour le moment - qui se sont réellement engagés à les accompagner pour la concrétisation de leurs revendications.
Pourtant, la bataille n’est pas perdue.
Nous devons multiplier nos efforts et les adapter, sans opportunisme, aux besoins du moment pour convaincre toutes les classes nécessiteuses à emprunter, dans l’autonomie, le chemin de leur libération.
Car, comme a écrit Karl Marx, dans le préambule des Statuts de la Première Internationale : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
- Marc-Arthur Fils-Aiméest Directeur de l’Institut Culturel Karl Lévêque
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/es/node/158363
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